En général, les autres agents m’évitent lorsque je passe dans les couloirs. Quelque chose à propos de mon regard de glace, mon absence de sourire et le fait que je pourrais littéralement mettre au tapis toutes ces personnes avant qu’elles aient le temps de prononcer mon nom. Climat de peur, j’ai l’habitude. Et pourtant, je ne fais rien pour le perpétrer, mais je ne cherche pas à le démentir non plus. Au moins comme ça, j’ai la paix. Mais, parfois, certaines personnes sortent du lot. Comme Clint, ou Fury, ou encore Coulson et Hill. Ou Skye, si on veut faire dans les agents hyperactifs qui devraient être interdits de caféine. Et… Burton aussi. Sauf que je ne m’attendais pas à tomber sur elle ce jour-là en particulier. J’avais fini mes dernières missions, j’en avais une en approche pour la semaine prochaine, donc jusque-là, je n’ai rien de prévu. C’est d’ailleurs après avoir vu Hill concernant ma couverture pour cette mission de la semaine prochaine que j’étais à Washington, autrement, je serais déjà en train d’éventrer un sac de boxe quelque part dans l’une des nombreuses salles d’entraînement de New York.
Bien entendu, j’entends Amy avant de la voir, d’une à cause de sa musique et de deux, ses bruits de pas. Puis sa silhouette m’apparait immédiatement, son visage tellement proche du mien comme si elle venait de se téléporter. Je recule alors d’un pas en soupirant et en me remémorant les promesses que j’ai faites à Clint que je ne fais pas trucider la gamine qui se tient devant moi et qui visiblement va m’infliger le supplice de sa tirade hyperactive caféinée du matin. Ce n’est pas la première fois qu’elle m’accoste ainsi au détour d’un couloir, comme si elle campait pour être sûre de ne pas me rater. Même si avec ses compétences de hackeuse, elle pourrait facilement obtenir la liste de mes rendez-vous pour la semaine… Et toutes les fois où nous avons parlées –plutôt où elle a fait toute la conversation et j’ai simplement hoché la tête en rythme– j’étais exaspérée au bout de trois secondes. Mais bon, depuis le temps, je sais que l’unique solution c’est de la laisser vider son sac. Donc je l’écoute et pour une fois, je ne regrette pas de l’avoir fait. Alors comme ça Hill a voulu me mettre sur la sellette ? Ça ne m’étonne pas d’elle, elle a toujours fait passer le SHIELD avant les agents et elle connait mes antécédents avec Barnes. Mais ma relation avec Maria majoritairement basée sur le sarcasme et parfois le cynisme ne concerne pas Amy, alors je n’en dis rien, gardant mes réflexions amusées pour moi, même si l’ombre d’un sourire apparait sur mes lèvres. Plus j’écoute Amy et plus je me rends compte que cette petite est une mine d’or d’informations. Bien entendu, le passé du Soldat d’Hiver ne m’est pas inconnu, nous sommes issus du même endroit cauchemardesque après tout. Et ce ne sont pas uniquement des entraînements qui nous lient… liaient… Mais ça non plus Amy n’a pas besoin de le savoir.
« Bien joué, kiddo. Montre-moi ça. » Je dis alors sur un ton ferme, mais amical tout de même. Elle a réussi à m’amuser dès le matin, c’est pas évident comme prouesse. Je jette un coup d’œil aux caméras afin de me placer dans leur angle mort, invitant Amy à faire de même. Quand cette affaire tombera aux oreilles de Hill, je tiens à l’avoir réglée moi-même ou au moins d’en savoir suffisamment pour pouvoir faire pression de mon côté. Car je ne lâcherais pas Barnes pour rien au monde, quitte à révéler à l’ensemble des agents du SHIELD que le glaçon et moi avions une aventure dans le temps.
Le soucis avec Amy, c’est la surabondance d’information et le fait qu’elle utilise toujours toutes sortes de références dont je ne connais pas la moitié (pas parce que je suis plus vieille qu’elle, merci bien, mais plutôt, car je n’ai clairement ni le temps et l’envie de me mettre à jour en ce qui concerne toutes les séries, films et autres). Ce qui fait qu’une conversation avec Amy est toujours longue et parasitée par son langage particulier. Pourtant, je l’écoute attentivement et observe avec encore plus d’attention les vidéos de surveillance, cherchant à retenir le moindre détail, le plus petit indice qui pourrait venir m’aider durant cette mission. Mes anciens sentiments, qui aujourd’hui ne sont plus, pour le Soldat d’Hiver n’ont rien à faire dans cette histoire, mais mon honneur, si. Je n’ai pas réussi à l’arrêter, il m’a déjà échappé trois fois et je ne compte pas permettre qu’il y’en ai une quatrième. Ni que quelqu’un d’autre se retrouve à ma place et obtienne cette mission, voilà pourquoi je compte faire ça sous le radar, sans mettre ni Hill au courant ni Fury et encore moins Coulson. Ils finiront par le savoir de toute manière, Fury a un nez pour ces trucs-là et rien au SHIELD ne lui échappe. Surtout qu’il est tout à fait au courant de mon passé avec Barnes, raison de plus pour additionner deux plus deux et ne pas me laisser faire cette mission comme je l’entends.
« Notre combat a bel et bien quelque chose avoir avec son changement de… comportement, mais ce n’est pas à cause des coups que je lui ai mis. Aussi difficile que ça l’est de l’admettre, il m’a dominée durant la majorité de notre combat. Et crois-moi, il lui en faut beaucoup plus que ça pour causer le plus petit dégât. » Je dois faire attention à mes paroles afin de ne pas en révéler trop. Bien que je ne sois pas une experte sur les choses qui ont été faites au Soldat d’Hiver, nous venons tous les deux du même endroit : la Chambre Rouge. Et même si je n’ai pas été injectée avec un sérum comme ce fut son cas, les techniques de manipulation ont été les mêmes pour nous deux, peut-être encore plus violentes pour lui. « Sans son changement de comportement, je ne serais pas là aujourd’hui. Son hésitation m’a sauvé la vie. » Je passe inconsciemment la main sur mes côtes qui sont encore en train de guérir. Cela faisait un moment que je ne m’étais pas pris une raclée dans le genre et je suis contente de m’en être sortie.
« Son changement de comportement est facile à expliquer : il a hésité à me tuer, parce qu’il m'a reconnue. » Ce qui revient à avouer que je l’ai rencontré par le passé. « Il a aussi faillit me tuer à Odessa il y a quelques années. » Amy en a sans doute entendu parler si elle a fait correctement son boulot en faisant des recherches sur le Soldat d’Hiver. « C’est pas grave si tu l’as perdu de vue, je finirai pas le retrouver. De préférence avant Hill. »
Dès le moment où Amy a commencé à parler du Soldat d’Hiver, j’ai su que le conseil exécutif allait être au courant, que c’était même lui qui avait mis la hackeuse sur la piste, bien que, connaissant sa curiosité, elle aurait probablement trouvé les infos toute seule comme une grande. Mais j’apprécie le fait qu’elle soit venue me voir en premier. Au final, cela ne changera peut-être pas grand-chose, mais j’apprécie son geste. « Merci Burton, je t’en dois une. » Je suis sincère et pour une fois, je souris, faisant disparaître le masque de glace que je réserve habituellement aux agents du SHIELD avec lesquels je ne suis pas proche.
Mais Amy continue pourtant avec ses questions et je me retiens d’échapper un soupire. Avec elle, de toute manière, y’a pas moyen de faire autrement. Et souvent, il faut mieux l’écouter attentivement pour ne pas risquer de rater une information capitale entre deux références de pop culture. « Il aurait du m’achever en effet… » Je reste volontairement vague et me montrant même étonnée. J’ai l’habitude de falsifier mes sentiments, avec un peu de chance, je n’aurai pas à m’expliquer sur mon passé avec le Soldat d’Hiver. En soit, ce n’est pas très grave si cela sort, mais je préfère éviter que toute la base soit au courant de mes anciennes relations. Je ne possède pas une bonne réputation au sein de l’organisation de base, mais si en plus on me rajoute l’étiquette de pute pour l’ennemi, je ne jure pas de la peau des agents qui oseront me le dire en face. En soit, je me fiche de l’avis des autres, mais je préfère garder mes secrets pour moi-même. Personne ne sait exactement tout sur moi, ce n’est révélé intégralement dans aucun dossier, sur aucun clé. Même dans mes affaires personnelles et tous les documents secrets d’État de plusieurs pays que je conserve à mon sujet, tout n’est pas indiqué. Personne ne sait toute la vérité sur moi, pas même moi (merci les lavages de cerveau).
Mais Burton soulève une question intéressante. « HYDRA ou même les soviétiques à ce niveau… disons qu’ils sont doués pour imiter, mais pas pour créer. Et que Barnes est tombé entre de mauvaises mains avec des mauvaises intentions et tous les moyens du monde pour les accomplir. » Je soupire. Il fallait que je révèle plus que je ne comptais le faire… « Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux projets ne sont pas tombés aux mains du SSR, l’ancêtre du SHIELD. Peu importe ce que les survivants d’HYDRA ont réussi à garder, ils l’ont utilisé sur Barnes. Et vu la complexité du sérum de notre bon vieux papi glaçon national, je ne serais pas étonnée qu’ils aient réussi à trouver un moyen d’endormir Barnes et de le sortir du congélateur quand ça les arrange. »
Le soucis des personnes comme Amy, c’est-à-dire des moulins à parole surexcités qui abusent tellement du café qu’ils feraient faire une crise cardiaque à leur médecin, c’est qu’ils ne savent pas quand s’arrêter, qu’ils réagissent au quart de tour et qu’ils ne prennent pas le temps de regarder la situation dans son ensemble, fonçant tête baissée comme un berserk. Et que, bien souvent, ils ne se rendent compte d’aucune de ces choses. Amy n’a d’ailleurs pas mis longtemps à faire les différents liens dans sa tête. Et j'ai encore mes propres doutes, car des faits ne sont pas logiques, ils ne tiennent pas la route, mais je ne crois pas aux coïncidences. L’histoire n’est pas trop difficile à croire au final : Barnes n’est pas mort, il a finit dans le même état que papi Boomerang, mais au lieu de pioncer pendant près de soixante-dix ans de manière à rater son rencard, Barnes, lui, effectue des missions toutes les quelques années. Ce sont des choses dont j'ai entendu des rumeurs lorsque j’étais dans la Chambre Rouge et bien plus encore. En même temps, aucun instructeur russe ne s’appelle James. Et c’était la fin de la guerre froide à l’époque, les russes n’allaient pas s’amuser à inviter des américains, leurs ennemis jurés, à venir enseigner à leurs élèves. Seuls les programmes secrets comme celui de la Veuve Noire pouvaient bénéficier de ce genre de magouilles.
Je croise les bras devant son enthousiasme avant de lui intimer à s'approcher encore plus. « L'une des raisons pour lesquelles je passe dans le dos de Hill sur ce coup-là, c'est justement à cause de ces potentielles révélations. J'ai des doutes sur l'identité du Soldat d'Hiver depuis plusieurs années, pour diverses raisons... » Mon expérience avec lui, mon passé... sans oublier ma vendetta personnelle, toutes ces raisons que je ne balancerais pas aussi facilement. « C'est pourquoi il faut qu'on soit discrète sur ce coup-là. Et qu'on n'en parle pas à Hill et encore moins à Fury. Du moins, pas encore. Sans preuves, on n'ira pas bien loin. » Mon ton n’est pas méchant, mais plutôt pour souligner l’importance de cette démarche.
Amy pourrait avoir accès à certaines informations, si elle le souhaitait. Pour une hackeuse comme elle, ça ne devrait pas être très difficile. Après tout, Stark a bien réussi à passer outre nos mesures de sécurité, Skye l’a fait aussi alors pourquoi pas Burton ? Et peu importante ma fierté légendaire, j'ai besoin de son aide. « Je te dis tout ça, puisque je veux mener ma propre enquête. Sans Hill, sans Fury. Avec le moins de monde au courant d'ailleurs. Nous sommes les seules à nous douter de l'identité du Soldat d'Hiver, puisque comme tu dis, le SHIELD a depuis longtemps abandonné cette idée. Mais mes doutes sont impossibles à ignorer et le SHIELD ne sait pas tout sur mon passé. Heureusement. J'aurai... donc besoin de ton aide, Burton. »
Je ne peux cacher que je m’attendais quand même à ce qu’Amy accepte de me suivre dans cette étrange affaire, potentiellement dangereuse. N’importe qui de censé aurait réfléchi à deux fois avant d’accepter d’aller dans le dos de ses patrons, surtout des patrons du calibre de Fury. On ne rigole tout simplement pas avec Fury et j’ai rapidement appris à le cerner, quelle limite ne pas franchir et jusqu’où je peux me permettre certaines choses. Ses limites ne sont pas les mêmes que celles de Hill, ni que celles de Coulson. Et, bien évidemment, ma relation avec Fury est complètement différente de la relation d’Amy avec Fury. Si ce n’était pas aussi important, je ne lui aurai jamais demandé de leur cacher notre petite mission secrète, mais c’est du Soldat d’Hiver que nous parlons là, de celui qui m’a fait un courant d’air dans le bassin et qui a éternellement bannit les maillots de bain de ma garde-robe. Il y a d’autres raisons aussi, des raisons bien plus personnelles et compromettantes qui m’empêchent d’ignorer cette affaire, mais je ne suis pas prête à les révéler à Amy, pas encore et j’espère clairement ne pas avoir à le faire. Moins les gens en savent sur moi, mieux c’est.
Je souris pourtant devant l’enthousiasme d’Amy. Elle ira loin cette petite. « Commencer par essayer de hacker HYDRA pourrait être une bonne idée. Après, ce n’est pas comme si le SHIELD n’avait pas déjà essayé, mais il y a une combinaison mortelle pourtant qui n’a jamais été testée. » Je me tais un instant pour le pur bonheur du suspense. « Toi et moi. Avec nos compétences réunies, nous pourrions arriver à quelque chose. Mais pas ici, pas maintenant. Nous ne pouvons pas rester sur le terrain du SHIELD. Tu l’as bien compris, cette mission doit se faire sous le radar. » Je sors alors mon téléphone et tapote rapidement quelque chose dessus avant de lui montrer mon écran. « Mémorise bien cette adresse et retrouve-moi là-bas demain matin à 9h. Et emmène ton matos aussi, mes ordis sont puissants, mais j’imagine que tu as ta propre façon de travailler. » Je lui laisse le temps de mémoriser l’adresse avant de supprimer cette dernière et de ranger mon téléphone. « C’est l’adresse de mon appartement officiel, qui est actuellement ma planque principale. Nous serons tranquilles là-bas sans que cela ne paraisse suspect si jamais le SHIELD a soudain besoin de nous et qu’un agent vient tambouriner à ma porte. »
La raison pour laquelle j’ai mis le rendez-vous à demain est qu’il faut quelques heures pour rejoindre mon appartement dans Little Ukraine, à New York et qu’une nuit de repos n’est pas une mauvaise idée avant d’attaquer ce genre de mission délicate. Il faut aussi que je m’arrange de mon côté niveau emploi du temps de missions pour faire de la place, mais ça ne devrait pas être un problème. Je n’ai jamais eu de soucis pour décaler certaines choses avec Coulson, sans doute parce qu’en général, ils peuvent m’appeler quand ils le veulent et que j’ai arrêté de compter les heures supplémentaires.