Sa tendre enfance, celle qui lui semble si lointaine à présent, c'est le froid et la glace, des cristaux de souvenirs qui auraient pu geler son cœur sensible. Cassandre est née auprès de deux parents aimants, dans la grande ville de Saint-Pétersbourg. Sa mère ne travaillait pas. Ou du moins, elle ne travaillait plus, elle avait abandonné son poste de secrétaire éditoriale pour se consacrer pleinement à l'éducation de sa fille. Son père, lui, était sans cesse occupé. Il avait décidé de monter sa propre affaire, et sans cesse préoccupé par l'expectative de nouveaux clients et la crainte que sa boîte fasse faillite, il vivait dans un stress constant. Mais cela, la petite Cassandre ne le voyait pas. Avec elle, il était toujours tendre et prévenant, et c'est ce qu'elle retenait de lui à cette époque. Une enfance normale et heureuse, une vie simple et prospère. Ce fut quand Cassandre eut sept ans que l'entreprise de M. Bathory connut son premier grand succès. Un contrat juteux qui devait conduire toute la petite famille outre-Atlantique, pour venir s'installer à New York. Le déracinement n'est jamais chose simple : changer de maison, d'amis, d'environnement scolaire. Mais une fois encore, Cassandre ne le vécut pas si mal que ça. D'autant moins que le nouveau de vie que leur permettait l'entreprise de son père (qui se mua progressivement en multinationale) avait rehaussé leur niveau de vie à un point considérable. Finie l'humble hameau russe, ils vivaient maintenant dans une véritable villa. Fini les tâches ménagères pour sa mère, ils avaient à présent du personnel de maison pour s'en occuper à sa place. Les Bathory étaient riches, mais cette richesse éloignait progressivement les parents de leur fille. Le père parce qu'il était d'autant plus concentré sur son travail. La mère parce qu'elle pouvait avoir enfin du temps pour elle, et qu'elle l'égrainait en occupations absurdes dignes d'une véritable desperate housewive. Néanmoins, Cassandre n'en tenait pas rigueur à ses parents, d'un naturel sage et optimiste, elle songeait que ce n'était qu'un temps d'adaptation, et elle appréciait pour sa part de pouvoir grâce à cela accéder aux meilleures écoles, et vivre dans la profusion.

L'absence de ses parents, elle la compensait par les études. Très vite, Cassandre se révéla être une élève brillante, et ses parents la voyaient déjà promise à un grand avenir, ses professeurs tout autant (même s'ils lui faisaient peut-être de la lèche en espérant bénéficier de subventions de la part du paternel, va savoir). Elle rejoignit la prestigieuse université de Princeton, où ses résultats ne démentaient pas les espoirs que l'on avait placés en elle. Oui, tout semblait sourire à la jeune femme : riche, brillante, de bonne famille... Mais tout bascula, bien sûr (et heureusement, vous dirait-elle).

Un soir, à la sortie des cours, elle fut enlevée. Elle n'eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait. On avait fiché un sac noir et opaque sur sa tête et l'avait traînée de force dans une voiture direction elle ne savait où. Ce fut quelques heures plus tard qu'elle comprit être aux mains d'un gang redoutable, les Death Demons. Leur charismatique leader, David Styles, avait contracté une dette avec son père, et ce dernier ne s'en était pas acquittée. Son enlèvement était sa punition. Elle était la monnaie d'échange contre une rançon conséquente. Cassandre était terrorisée, bien sûr, mais elle tentait de positiver : son père avait des ressources, il ne la laisserait pas croupir ici, il allait venir la chercher, ça n'allait pas durer longtemps, il allait venir, il allait venir...

Il ne venait pas. Un jour passait. Puis un autre. Un autre encore. Puis le suivant. L'isolement, la torture incessante, eurent le don d'atteindre les nerfs de Cassandre. Ainsi pourrait-elle vous le décrire : progressivement, des bulles creusaient des tunelles dans son cerveau, elle grossissaient progressivement. Quand elles éclataient, elle pouvait avoir envie de rire, de pleurer, de frapper, de hurler. Inconséquemment. La folie s'emparait progressivement d'elle en même temps qu'une fascination de plus en plus grande pour son séquestrateur. Ce brave Stockholm serait fier de sa théorie : plus le temps passait, plus son attirance envers David Styles augmentait (en même temps que sa haine pour son père, au passage, que ce dernier ne manquait pas d'intensifier). En quelques semaines, elle lui était devenue dévouée. Elle donnerait sa vie pour cet homme, elle donnerait son âme à cet homme. Quand il lui servit son père comme sur un plateau et lui ordonna de le tuer, il n'y eut pas d'hésitation dans son attitude, parce qu'elle n'hésitait pas. Elle ne vivait plus que pour lui plaire à lui, et enfoncer encore et encore ses pieds dans le crâne de son géniteur lui donnait un sentiment de plénitude incroyable, indifférente au sang qui l'éclaboussait, elle riait aux éclats. C'est Freud qui serait fier d'elle, cette fois. Ne disait-il pas qu'il fallait tuer le père ?

Le père mort, elle aurait pu être techniquement libre. Allez savoir si Styles lui aurait laissé la vie sauve ou l'aurait laissée partir, puisque ce fut de son propre chef qu'elle le supplia de rester auprès de lui, et pour le convaincre, elle ne manquait pas d'arguments, à commencer par la fortune colossale léguée par son défunt père, dont elle choisit de laisser David profiter sans condition sinon celle de la garder près de lui. Elle veut faire partie des Death Demons et n'a qu'une obsession à l'esprit : lui plaire et l'impressionner. Lui appartenir. Quand il se servit d'elle comme cobaye pour un sérum étrange payé techniquement avec son argent, elle n'hésita pas, elle s'abandonna à ce supplice comme elle l'avait fait à bien d'autre. Exit la jeune étudiante rigoureuse et pleine d'avenir, Cassandre ne lui ressemble plus du tout. Folle, éperdue, incontrôlable sauf par celui qu'elle considère comme son seul maître, elle est capable du meilleur encore, certes, mais surtout du pire.

Certains événements vous marquent à vie et peuvent modifier radicalement votre personnalité. Dans le cas de Cassandre, cette maxime se confirme de façon catégorique. Sage, un peu renfermée, intelligente sans être prétentieuse, studieuse et érudite, Cassandre avait tout de la jeune adulte ennuyeuse dont l'objectif principal et de réussir ses études. Son enlèvement l'a changée... Comment définir son caractère, à présent ? La tâche est ardue, c'est certain : et pour cause, c'est justement ça, son caractère : changeante, instable. Elle est capable de passer d'une émotion à l'autre en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, du rire à la colère, surtout. Les épreuves qu'elle a subies semblent avoir déposé sur sa vie un filtre déformant, tout ce qui avait de l'importance autrefois n'en a plus dorénavant. La mort ne l'angoisse plus, elle s'en amuse. Elle en a vu, des choses horribles, depuis qu'elle a rejoint les Death Demons, mais elle n'a jamais su que s'en amuser. La violence est ce qu'il a changé, et c'est maintenant ce à quoi elle aspire, la souffrance des autres est devenu un jeu pour elle, et elle éprouve toujours un plaisir sadique à observer le supplice d'autrui.

Dévouée et fidèle, c'est un autre trait de caractère qui s'est très nettement développé chez elle. Dévouée et fidèle, oui, mais à David seulement, cela va sans dire. Elle serait bien capable d'obéir au moindre de ses ordres si cela lui était demandé. Il est devenu une réelle obsession pour elle. Irrévérencieuse, elle ne saurait accepter d'ordre de personne sinon de lui, et pour lui, elle peut absolument tout accepter, jusqu'au plus infâme des sacrifices. Son amour n'a d'égale que la folie qui l'habite, ce qui veut dire beaucoup, car celle-ci n'a pas la moindre limite.