Thunderstruck ⚡

Novembre, novembre, tes bourrasques de vent et tes ciels menaçants ; l’annonce d’un hiver et la promesse de longues soirées bien au chaud, thé à la main. Il était encore tôt ce mardi, mais la nuit commençait déjà à tomber, et Darcy hâta le pas, faillit trébucher contre le trottoir, se retint de justesse. Ouf, son chaï latte n’avait rien. Bon, maintenant, à droite, à gauche ? Elle avisa un petit panneau indiquant le Brooklyn Museum et sourit, triomphante. Par-là, donc.

Elle venait de franchir le seuil du musée lorsque la pluie se mit à tomber dehors. Bon… au moins, elle était à l’abri. La tête dodelinant tranquillement au rythme de la musique, elle acheta ses tickets à la caisse, et pénétra dans le hall.

« Darlin’ you got to let me know, should I stay or should I go ? »

Sans hésitations, elle se dirigea vers le département d’Egypte antique, ouvrant son long manteau gris-bleu. La chaleur et la lumière de l’endroit rendaient le musée confortable, mais Darcy mit un petit bout de temps avant de se rendre compte qu’elle n’avait pas ôté son bonnet, qu’elle s’empressa de fourrer dans son sac à dos. Voilà, pensa-t-elle en buvant son thé brûlant, maintenant, la visite pouvait commencer.

Aussi étrange que ça puisse paraître, bien qu’en vivant à Brooklyn depuis maintenant quelques temps, Darcy n’avait jamais visité son musée. Jusqu’à présent, ses curiosités pour l’art et l’histoire et le reste l’avaient amenée au MoMA, au Met, au Musée d’Histoire Naturelle, même à Ellis Island, mais ici, non, jamais. Cet obscur mardi de novembre où elle n’avait plus eu grand chose à faire sitôt trois heures de l’après midi sonnées représentait donc une occasion parfaite pour aller y faire un tour. Elle passa "November Rain", trop évident, lança à la place "Rock or Bust", d’AC/DC. Décidément, elle se sentait rock’n’roll, aujourd’hui. Un peu d’énergie dans cette ville glissant vers l’hiver morne et sombre !

Fredonnant à voix basse sa playlist, emportée dans son joyeux après-midi, Darcy marchait lentement devant les statues représentatives de Sekhmet, les sarcophages, les petites reliques. Bon, certes, le département d’Egypte ancienne n’était pas d’une utilité transcendante pour ses recherches. Mais bon… Jane lui avait fait promettre de trouver tout ce qu’elle pouvait sur la mythologie nordique, le Bifröst, tout ça, mais Darcy s’était déjà tapée la New York Public Library cinq après-midi de suite pour éplucher toutes les sources possibles et inimaginables. Le monde nordique lui sortait par les yeux, et avec ce temps-là, elle ne se sentait pas du tout de voyager en Scandinavie. Et puis Jane prolongeait son séjour hors de la ville, donc la demoiselle était libre de tout chaperonnage.  

Ouvrant son petit carnet dont elle ne se séparait jamais, réajustant ses lunettes, elle prit certaines notes, griffonna quelques esquisses de statuettes ou amulettes. Elle s’apprêtait à lire le texte d’un petit panneau explicatif lorsque soudain, suite à un éclair illuminant le ciel et à son coup de tonnerre, l’éclairage grésilla, et, avant qu’elle ne puisse réagir, s’éteignit.

Immédiatement, elle vit s’allumer les lumières des téléphones portables des personnes autour d’elles, pestant ou riant de la situation. Peu rassurée, Darcy sortit son iPod, coupa "Thunderstruck" (courant alternatif, courant continu, ça devenait un peu trop ironique pour elle), ne se servant que de la petite lumière blanche pour voir où elle mettait les pieds. Pas question de renverser quoi que ce soit, ni de se faire une frayeur en touchant un objet étrange. Comme cette statue du dieu Sobek qu’elle avait aperçue quelques mètres plus loin…

Ce fut à cet instant précis que quelque chose la frôla ; elle ne put contenir un cri, se retournant, braquant son iPod vers ce qui l’avait touchée. « Hey ! Faites attention ! J'ai eu la peur de ma vie », s’exclama-t-elle, plus surprise que paniquée. Elle n'était pas du genre froussarde, plutôt téméraire même, mais bon, avec la pluie et la nuit dehors, et les statues qui l'entouraient, on ne pouvait quand même pas se montrer bravache.  « Et… » Nouveau grésillement, la lumière se ralluma. Oh, génial. « En plus vous m’avez fait renverser mon thé dessus. », ajouta-t-elle, boudeuse, tripotant son écharpe mouillée, avant de relever la tête vers son mystérieux assaillant.

Thunderstruck ⚡

Darcy fut surprise de se retrouver nez-à-nez avec un homme plutôt mignon. Naturellement, elle aurait imaginé un monstre ou la momie zombifiée d’Anubis. Ce qui aurait alors été étrange, car le dieu Anubis n’aurait sûrement pas eu la décence ou la délicatesse de s’intéresser au thé renversé de Darcy. En tous cas, elle était rassurée : c’était bel et bien un humain, en chair et en os. Quoi, elle, exagérer ? La dernière fois qu’un incident semblable s’était produit, son « assaillant » lui avait bel et bien prouvé qu’il était un dieu. Mais nordique. Bref.

Les cheveux un peu longs, la mâchoire carrée et le regard clair, il semblait plus âgé qu’elle – vu sa dégaine en plus, elle ne devait pas faire bien vieille. Mais ça ne l’empêchait pas, parfois, d’avoir l’aplomb d’une vieille dame acariâtre… ainsi attendait-elle des excuses avec une moue parfaitement indescriptible. Bon, en même temps, elle n’allait pas faire comme si la situation était rocambolesque : après tout elle aurait très bien pu, à quelques secondes près, se prendre une armoire en pleine face ou quelque chose dans le genre.

« Désolé, j'ai été surpris et j'ai trébuché sur quelque chose dans le noir... Je, je peux faire quelque chose ? Je pense que vous trouverez aux toilettes de quoi éponger le plus gros, et je peux vous offrir un autre thé pour me faire pardonner... Encore désolé... Je suis d'un maladroit parfois ! »

Wow. L’étranger avait l’air un peu paniqué, comme s’il cherchait quelque chose, débitant ses plus plates excuses à la seconde. Avait-elle été trop rude ? Oh non ! Non ! Elle ne voulait pas qu’on croie qu’elle pouvait être méchante. Dans un sourire, Darcy entreprit de calmer l’homme qui lui faisait face, en avançant le bras dans un geste qui se voulait rassurant.

« Hey, pas de panique hein ! Ça arrive, rien de grave ! De toute façon vu la pluie, je me doute qu’elle sera rapidement mouillée à nouveau. Et puis je suis moi-même la reine des maladresses. Ma colocataire – qui est aussi mon patron et ma meilleure amie d'ailleurs – n’arrête pas de me dire que je suis un vrai boulet. Elle réajusta ses lunettes sur son nez, parfaitement étrangère au fait qu'elle était probablement en train d'appuyer les dires de Jane. Elle se contentait d'espérer que son petit laïus aurait un effet apaisant. Mais… oui, je veux bien un autre thé », annonça-t-elle innocemment.

Ah. Jamais, jamais (jamais, vous m’entendez ?), il ne fallait proposer à Darcy de lui offrir quelque chose pour se faire pardonner. Non mais vraiment. Parce-que, même si l’offense était insignifiante voire inexistante, elle ne refuserait pas. Dans le meilleur des cas, ça vous fera une rencontre sympathique avec une jeune femme un peu bizarre mais très gentille, dans le pire des cas, un interminable moment de torture à attendre qu’elle vous fiche la paix avec ses discours interminables. La variable qui permettait de distinguer ces deux solutions était souvent son humeur au moment de l’incident. Et là, heureusement, elle se sentait plutôt détendue.

Elle fronça les sourcils à la vue de la grimace. « Vous avez mal ? Vous vous êtes cogné ? J’espère que ce n’est pas de ma faute ! Si vous voulez je dois avoir un médicament pour la douleur, un truc comme ça. Je m’appelle Darcy, au fait », ajouta-t-elle nonchalamment avant de se lancer dans une expédition pour trouver un médicament au fond de son sac.

Thunderstruck ⚡

Ses doigts attrapèrent la petite pilule au moment où son interlocuteur – Richard, ainsi qu’il se présenterait dans quelques instants – posait sa main sur son bras. Elle releva la tête, eut un sourire d’excuse avant de lui présenter le médicament dans sa paume ouverte, accompagné d’un regard signifiant qu’il ferait mieux d’avaler l’anti-douleur : elle lui tendit sans un mot le reste de son thé pour qu’il puisse s’exécuter. Darcy n’aimait pas savoir les gens souffrir, et aussi minime que soit sa contribution, soulager un tant soit peu leur peine la rassurait.

Mais l’homme ne semblait pas réagir spontanément… intriguée, Darcy remarqua alors ses incessants coup d’œil de droite à gauche, et les suivit : ses yeux clairs se posèrent alors sur des gardes du musée, visiblement en pleine recherche de quelque chose. Oh, oh. Et avançaient-ils vers eux ? Ce fut à ce moment qu’elle serra la main tendue de Richard, absorbée dans ses pensées. Est-ce qu’ils le cherchaient ? Se faisait-elle des idées, ou sa nouvelle rencontre montrait des signes de nervosité ? Allez Darcy, calme-toi… Tu t’es fait une belle frayeur, mais ce n’est rien ! Au pire, quoi, il aura volé quelque chose ? Oh non ! Et si c’était un voleur ? Il était plutôt pas mal physiquement, mais elle n'aurait su dire s'il possédait l'allure d'un mauvais garçon. Mais si c'était le cas... et s’il l’avait bousculé car il s’enfuyait ? Et s’il la prenait en otage ? Ou s’il glissait son butin dans son sac et qu’elle se faisait prendre et qu’elle allait en prison et que…

Non, ça ne tenait pas. Richard n’avait rien dans les mains, et ses poches semblaient trop petites pour contenir quoi que ce soit. Mais justement ! Si c’était une relique d’un dieu (pitié pas Sobek, pas Sobek, le croco lui fichait la trouille), et qu’ils s’attisaient sa colère ? … non, non elle n’en faisait pas trop ! Et oui, maintenant, elle était disposée à croire à n’importe quoi après avoir rencontré en personne les mythiques et scandinaves Thor et Loki.

« Je pense qu'il y a un distributeur près de l'entrée, je vais aller vous chercher un autre thé, à moins que vous ne m'accompagnez ? Nous reviendrons ensuite ici si vous n'avez pas terminé de faire le tour ... » Elle plissa les yeux, brusquement devenue méfiante. Et si c’était un piège ? La part rationnelle d’elle-même se gifla mentalement. Elle délirait. Bon sang, il faudrait vraiment qu’elle prenne du repos. Pourquoi pas sortir un peu de New-York ? Avec les récents évènements, Jane partie, elle avait besoin de temps pour elle hors de toute agitation. Gommant la suspicion de son visage, elle sourit à Richard.

« Avec plaisir, je vous accompagne. » Comme ça, elle pourrait lui poser deux-trois questions. Eh, elle n’allait tout de même pas faire confiance à un inconnu visiblement tendu par l’arrivée des gardes sous prétexte qu’il lui offrait un thé !« Je suis venue dans ce département par hasard, c'est la première fois que je mets les pieds au Brooklyn Mueseum ! » Et d’ailleurs… « C’est curieux comme les temps changent non ? » Sa remarque la fit sourire. Avait-elle vraiment le droit de se balader avec un thé ? Euh, à vrai dire, elle n’en n’était même pas sûre, mais personne n’avait semblé utile de lui faire remarquer au contrôle de sécurité. Hmm… et si c’était elle que les gardes venaient chercher ? À cause de son thé ? Ça n’avait pas de sens…. Mais ça lui donnait une idée de réponse.

Entraînant Richard vers la sortie la plus proche, Darcy baissa un peu la voix.

« En fait j’en sais rien… Si ça se trouve, les gardes qui viennent d’arriver sont là pour moi et me flanquer dehors pour possession illégale de thé, ha ha ! » Ça passait avec un naturel déconcertant. « À moins que ce ne soit vous qu’ils cherchent… » ajouta-t-elle avec une ironie masquant à peine le sérieux de la question, tout en jetant dans la poubelle la plus proche son gobelet à moitié vide. Et hop, ni vu ni connu…

Thunderstruck ⚡

Au mieux Darcy s’était-elle attendue à un rire gêné, à ce qu’il élude sa question – ou bien, évidemment, à ce qu’il la rassure. Pas qu’il s’arrête net, qu’elle manque de lui rentrer dedans, qu’il lui agrippe le bras comme un forcené et que, logiquement, elle prenne peur. Elle n’eut même pas le temps d’y réfléchir ; Richard l’attira vers une vitrine pleine de pierres anciennes avec une vigueur qui la surprit : elle laissa échapper un cri de douleur et de surprise mêlées. Il se pencha, visiblement stupéfait par une inscription que Darcy ne pouvait déchiffrer. Incrédule, ses yeux bleus faisaient des aller-retour entre la pierre et l’homme, ne comprenant pas bien de quoi il en retournait. C’était quasiment une agression là, non ? Mais au même moment, il sembla se souvenir qu’elle n’était pas une boule anti-stress et il desserra son bras. Sans faire même attention à elle, il restait absorbé dans sa contemplation, murmura des excuses et une phrase que Darcy saisit à grand-peine. Habituée à travailler avec Jane qui parlait bien souvent toute seule, murmurant des phrases contenant des mots scientifiques que la jeune femme n’était même pas sûre de pouvoir épeler, Darcy possédait désormais une ouïe alerte.

Elle recula de deux-trois pas, se massant le bras, incapable de prononcer le moindre mot. Ce mec était-il fou ? Son cœur battait vite ; mais elle ne se concentra pas sur son malaise momentané. Prudemment, alors qu’elle hésitait à s’enfuir en courant, elle se rapprocha néanmoins, sa curiosité légendaire l’emportant. Il semblait être entrain de traduire sans efforts une phrase écrite dans une langue morte depuis des siècles, et ce n’était pas normal… Parmi ses paroles presque inaudibles, elle comprit « envoyés des dieux  », « royaume des morts ».  C’était quoi le délire ? Maintenant qu’elle avait viré superstitieuse comme pas deux, elle se méfiait de tout.

Un vrai frisson la parcourut, et le musée ne semblait plus si accueillant. Elle envoya valser les excuses de celui qui n’était finalement qu’un inconnu d’un revers de la main ; son visage devait encore porter les traces du choc causé par la violence démontrée. Lorsqu’elle parla, sa voix sonna plus abrupte et plus sourde qu’elle ne l’aurait voulu.  

« Shit ! Vous êtes qui ? En vrai ? Comment ça se fait que vous puissiez déchiffrer une langue éteinte depuis plusieurs millénaires ? Ça veut dire quoi tout ça ? C’est quoi les sigles bizarres qui ne sont pas des hiéroglyphes ? » Pensait-il qu’elle ne les avait pas remarqués ? S’il focalisait son attention sur quelque chose, alors automatiquement, elle aussi. Darcy, si elle ne montrait aucune disposition exceptionnelle ou extra-terrestre, possédait un sixième sens inouï et une intuition à toute épreuve, voyant parfois ce vis à vis de quoi les autres demeuraient aveugles, comprenant une déduction avec seulement quelques indices. Encore une fois, vivre avec une scientifique qui avait découvert un monde parallèle, ça aidait.

Comme d’habitude, à chaque coup de tension, ses paroles sortaient sans jamais s’arrêter, torrent emportant tout sur son passage, mais sans la moindre trace de mensonge. Darcy mentait très mal. « Vous me faites peur. Et vous avez manqué de m’arracher le bras, donc ça commence à ne pas trop bien aller. » Ça n’avait plus de sens, elle s’en fichait. « Ça va vous revenir plus cher qu’un thé, je vous le garantis. »

Thunderstruck ⚡

Bras croisés sur la poitrine, Darcy observait Richard avec suspicion. Certes, peut-être se montrait-elle trop véhémente, trop paranoïaque, trop sur la défensive. Néanmoins, elle sentait que quelque chose clochait dans le tableau général qu’il lui offrait – mais elle n’aurait su dire quoi. Comme souvent, ce n’était qu’un vague sentiment de contrariété, qui lui soufflait d’observer encore, d’écouter, d’attendre, pour mettre le doigt sur l’élément qui la gênait. Elle admettait qu’il puisse avoir des soucis avec les gardes, sans que cela ne le mette visiblement dans une panique furieuse, car sinon, il aurait décampé d’ici sans demander son reste, sans s’arrêter pour une jeune fille au thé éclaboussé. Ça écartait l’hypothèse du bandit. Mais, de toute évidence, il cherchait à s’éloigner de la salle actuelle, ou de ses gardiens. Cela pouvait traduire une défiance vis-à-vis des « forces de l’ordre » ? Darcy croyait savoir que ce genre de réaction se produisait assez souvent : des personnes qui, sans avoir quoi que ce soit à se reprocher, se prenaient à fuir la police ou des gardiens. Quoiqu’il en soit, sa crainte d’être appréhendé, puisqu’il s’agissait de cela – son comportement le trahissait bien qu’il n’en dise rien – restait inférieure à son intérêt pour les signes gravés sur les pierres. Et qu’il puisse les déchiffrer aussi aisément, elle ne trouvait pas ça normal.

Depuis que Darcy savait que les super-héros, dieux et autres mutants existaient bel et bien, et malgré son côté fantasque/aventureux/curieux, elle conservait une certaine prudence. Cette pensée l’habitait jour et nuit ; certains humains n’étaient justement pas humains. Pas que ça la dégoûte – elle côtoyait les Asgardiens sans éprouver d’angoisse ou d’aversion – mais elle ne pouvait s’empêcher de trouver ça choquant, dans le sens où elle prenait conscience des autres espèces après avoir entendu toute sa vie que, globalement, « la magie n’existait pas » et que les « mutants » n’étaient que des créatures imaginaires. Elle avait vu de ses propres yeux s’opérer la magie, elle ne doutait pas de la véracité du second propos. En tous cas, si elle était prête à défendre la cause des mutants opprimés et à prôner la bonne entente entre les espèces, elle savait que certains n’avaient pas de bonnes intentions du tout. Preuve par A + B encore une fois quand elle avait failli griller dans le désert du Nouveau Mexique.

Se doutait-elle que Richard était un superhéros ? Absolument pas. Mais pas du tout. La pensée, à vrai dire, ne l’effleura même pas. Ni ça, ni qu’il soit d’une autre planète, ou un mutant, ou un humain amélioré. Mais à son égard, elle observait une distance qui s’expliquait par ce savoir inconscient que désormais, les choses n’étaient pas aussi simples. Elle laissa donc son interlocuteur s’exprimer, sans le couper – ce qui était assez rare pour être souligné. Évidemment, elle s’apaisa. Sa version comportait peut-être quelques « aménagements », mais l’ensemble la satisfaisait. Ça avait du sens. Fascination pour les peuples anciens et apprentissage d’une langue ? Okay. Après tout, certains apprenaient la langue des elfes en se basant sur les livres de Tolkien, alors, pourquoi pas ! Par contre… par les… Atlantes ? Les yeux bleus de Darcy s’ouvrirent grand. Comme dans l’Atlantide ? Un frisson d’excitation la parcourut, et elle se réfréna pour ne pas intervenir, tout en notant la question dans un coin de sa tête.

Lorsque Richard entreprit de lui expliquer sa lecture de l’écriture en lui détaillant le fonctionnement, Darcy sentit sa colère retomber d’un coup. Elle aimait qu’on lui apprenne, qu’on lui montre, qu’on lui explique ce qu’elle ne comprenait pas. Son cerveau tentait d’enregistrer les dires de Richard à mesure qu’il parlait, et elle trouvait ça passionnant. Finalement, était-ce si dérangeant qu’il sache cela ? Si ça se trouve, c’était un génie, en fait. Après tout, elle vivait avec une astrophysicienne de vingt-cinq ans.. !
Ôtant distraitement une longue mèche brune qui tombait sur son front, Darcy suivit attentivement le monologue de Richard. Capta très bien le « grande légende terrible et épique » et inscrivit sous les Atlantes qu’il faudrait qu’il la lui raconte – visiblement, il savait quelque chose à ce sujet.

Il marqua tous ses points manquants à l’instant où il lui proposa une pâtisserie.

Oui, d’accord, Darcy était une gosse de six ans enfermée dans un corps d’adulte. Elle ne pouvait pas non plus dire non à un petit gâteau. À bien y réfléchir, c’était d’ailleurs un miracle qu’elle soit parvenue à l’âge tendre de vingt-quatre ans sans qu’un individu louche ne l’ait attiré dans une camionnette blanche avec des muffins et une tablette de chocolat… Quoiqu’il l’aurait probablement libéré en fuyant dès l’instant où elle se serait mise à parler sans s’arrêter.

Elle demeura encore quelques instants les yeux rivés sur les inscriptions antiques, pensive, puis rejoignit Richard, sourire aux lèvres.

« Allez, ça va, excuses acceptées, mais vous me refaites pas le coup hein ? Et soit vous êtes un bon menteur, soit vous êtes vraiment très intelligent, mais dans les deux cas, vous allez devoir me raconter cette grande légende terrible et épique dont vous parliez plus tôt. » Ils franchirent la sortie, et la jeune femme ne put s’empêcher de jeter un regard aux gardes qui ne semblèrent pas bouger, mais les dévisagèrent juste avec un peu d’insistance – elle leur offrit son plus joli sourire, en devant admettre que ce n’était pas très rassurant d’être toisé de cette manière. Une fois passés le seuil de la salle, elle soupira malgré elle, de soulagement, reprenant le fil de ses pensées. « Ah, et au fait, quand vous parliez des Atlantes, c’est comme dans l’Atlantide, c’est ça ? »  

Marchant côte à côte, ils retournèrent dans le hall principal, s’assirent dans l’un des cafés – celui qui avait l’air le plus chaleureux. Ainsi installée en face de Richard, tenant distraitement la carte des boissons entre ses doigts, elle tenta une petite sortie de phrase, comme dans les films. Pour voir. « On va avoir beaucoup de chose à se dire, vous et moi. »

Thunderstruck ⚡

L'endroit était plaisant : elle adorait les musées de New-York pour ça. Même dans leurs plus petits recoins, leurs cafés, leurs boutiques, étaient toujours de chouettes lieux où se poser. Étonnant qu'elle ne soit pas venue avant. Et avait-elle choisi la meilleure journée pour venir ? Pas sûre... Quoique maintenant, elle se trouvait installée en face d'un charmant mais bizarre étranger qui semblait à l'aise avec les hiéroglyphes et l'Atlantide. Depuis quelque mois, Darcy se méfiait des charmants mais bizarres étrangers.

À peine installés, il se leva : gentleman, il lui laissa un billet de vingt dollars pour qu'elle prenne sa commande tandis qu'il... allait chercher un ticket ? Elle le suivait des yeux interloquée : oui, c'était bien ça, il se dirigeait vers le guichet. Alors c'était ça, son coup de frayeur ? Il craignait les agents de sécurité car il avait fraudé ? Elle sourit. Ce n'était vraiment pas la peine de paniquer comme ça, elle s'était fait peur pour rien. Si elle savait..!

Elle passa les commandes dès qu'elle fut rassurée : deux chocolats avec un croissant et un muffin, s'il vous plaît, merci. Le service fut rapide ; Richard revenait lorsque le serveur déposait les boissons sur la table.  « Voilà, je suis de nouveau en règle maintenant... » Elle lui jeta l'un de ces regards moqueurs dont elle avait le secret, mais sourit gentiment. Puis, il la pressa de questions pour qu'elle-même lui en pose, ce qui la fit rire. Qu'il ne s'inquiète pas, des questions, elle en avait à la pelle, en généralement, elles n'étaient pas toutes transcendantes !

« Oui ?!? Alors ? allez y ? je vous répondrais aussi honnêtement et complètement que possible... Mais je vous préviens, quand on me lance, il peut y en avoir pour longtemps, jusqu'après le souper même...
— On voit que vous ne me connaissez pas, répondit-elle avec un clin d'oeil. Je suis de celles qui parlent autant qu'elles écoutent... et je ne suis pas pressée. Elle ne quittait plus son sourire naturel, maintenant qu'elle l'avait retrouvé. Bon, allons-y alors. Première question à dix mille points, est-ce que vous avez encore mal ? Tout à l'heure vous aviez l'air d'avoir sacrément mal... Si vous vous êtes cogné faut pas laisser traîner ça ! Et ensuite, s'il faut entrer dans le vif du sujet... que savez-vous de l'Atlantide ? Ça m'intrigue. Je n'y connais pas grand chose, je me penche juste sur les peuples mythologiques par intérêt, mais j'ai cru comprendre que le mystère des Atlantes est plutôt épais. Elle mordit dans son muffin, pensive. Quoique le film de Disney à ce sujet était plutôt carrément génial ! Pas un instant elle ne songea à demander à Richard s'il l'avait vu, car après tout, ça lui paraissait normal que tout le monde soit comme elle accro aux dessins animés Disney. Au fait, vous faites quoi dans la vie ? »

Rester concentrée ? Darcy ? Ce n'était pas gagné. Pourtant, la jeune femme ne changeait pas volontairement de sujet : elle comptait revenir sur les mystérieux symboles que son interlocuteur évoquait quelques minutes auparavant, mais elle aimait cerner les gens. Il lui donnait une bonne impression générale, mais malgré tout, quelque chose continuait de la gêner et elle avait besoin que son intuition lui dise que tout semblait normal.
De toute façon, vu la taille du chocolat chaud qu'on venait de leur servir, ils avaient le temps de bavarder !

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Finalement, elle jugeait Richard sympathique. Bizarre, mais sympathique. Elle ne se défaisait pas de l'impression que quelque chose "clochait", mais ça n'avait plus rien d'inquiétant. Après tout, tout le monde avait droit à son jardin secret, à garder pour soi un aspect de sa personnalité, de son histoire. Elle devait donc passer outre.

Les premières réponses la firent rire. « Je n'ai jamais mis les pieds dans un chalet, alors ne vous gênez pas pour moi ! » Elle lui adressa un clin d'oeil complice avant de retrouver un semblant de sérieux.

« Disons que j'ai beaucoup voyagé, assez loin, et que maintenant, je suis revenu au pays un peu dépaysé vu les changements qui ont eu lieu entre temps. Les deux derniers emplois que j'ai occupé c'était bûcheron dans les grandes forêts canadiennes et livreur sur cycles ici à New-York... » Darcy ouvrit de grands yeux et ne put s'empêcher de l'interrompre, une pointe de moquerie à peine dissimulée dans la voix. « Vous étiez bûcheron ? Vous déconnez ? Genre bûcheron avec la chemise à carreaux, la barbe, la grosse hache et tout ? Pas étonnant que vous m'ayez proposé le chalet ! Enfin je veux pas vous offenser hein ! Mais vous êtes le premier bûcheron que je rencontre. Et vous n'avez pas tellement la carrure qu'on peut attendre d'un bûcheron. Pensive, elle but une gorgée de chocolat. « Enfin vous êtes bien taillé, pas de soucis hein, mais j'imaginais les bûcherons plus... imposants. » Nouveau sourire radieux. Et livreur sur cycles, elle n'en parlait même pas.

« Quoi ? Non, vous n'avez jamais vu l'Atlantide, de Disney ?! Mon dieu il faut absolument que vous le regardiez. Il est très bon, même s'il est vraiment sous-estimé. C'est l'histoire d'un aventurier, Milo, qui est embauché par un millionaire excentrique pour mener l'expédition de découverte de l'Atlantide. C'est vraiment bien. Il y a un petit côté "Vingt-mille lieues sous les mers", et puis Kida, la princesse, l'autre personnage principal, est vraiment badass. » Ce dessin animé lui rappelait de bons souvenirs.

« Je peux vous tutoyer ? Et vous ? Que faites vous à part visiter des musées les jours d'orages ?
— Bien sûr ! Oh, moi... je suis la zélée et géniale assistante d'une scientifique le jour, étudiante la nuit, serveuse le week-end. Rien à voir, donc. Techniquement, mon boulot d'assistante vaut pour mes crédits universitaires qu'il me manquait, mais je suis en sciences politiques à la base. Et là ma patronne est en voyage et je n'ai pas grand chose à faire pour elle, du coup je mets à profit mon temps libre pour visiter des musées, lire et télécharger de la musique. Darcy n'avait jamais vraiment digéré le coup du S.H.I.E.L.D. qui l'avait privée de son iPod pendant un laps de temps bien trop long. Je viens de la Nouvelle-Orléans, ajouta-t-elle joyeusement. Je n'ai pas voyagé des masses... où êtes-vous allé ? Hormis visiter l'Atlantide, j'entends ? » Nouveau clin d'oeil - ce qui était un geste absolument normal chez Darcy et pas du tout un sous-entendu quelconque. Elle avait les yeux les plus expressifs au monde, probablement. Mais elle était curieuse de savoir ce que Richard avait à lui faire partager.

Thunderstruck ⚡

Darcy Lewis, sa vie, son œuvre. Née de nulle part et vouée à l'ordinaire, sauvée par un événement hors du commun. Désormais copine de soirée de Captain America, titulaire d'un pass pour la Tour Stark, alliée cosmique avec le dieu Loki, et probablement future belle-sœur du dieu Thor. Bon, finalement elle ne s'en était pas trop mal sortie, vu comme ça !

Évidemment, après, s'il fallait trouver du sommeil, c'était un autre combat. « Je trouve mon temps. On ne badine pas avec le sommeil, alors je dors quand je peux. Je fais des siestes... je dors parfois en écoutant Jane - ma boss - quand elle parle avec des mots qui ne doivent même pas figurer dans le dictionnaire. » Sourire. Maintenant c'est à lui : elle l'écoute. Darcy est bon public : elle rit, s'exclame, pouffe quand il le faut, hausse les sourcils et lève les yeux au ciel au bon moment, ce qui en fait un auditoire particulièrement appréciée.

Et Richard était un interlocuteur particulièrement intéressant ! Visiblement, il avait eu une vie bien remplie. Mais ce qui piqua sa curiosité au vif fut sa dernière phrase, chuchotée d'un ton digne des meilleurs conspirateurs. « Le problème, c'est si je te les racontais, que tu me crois ou pas, nous ne pourrions plus nous revoir ensuite... » Ses grands yeux bleus s'écarquillèrent. Oui, non, Darcy n'était pas du tout constants, oscillant entre méfiance obstinée et naïveté foudroyante avec un naturel déconcertant. Là, n'importe qui aurait taquiné Richard, mais elle choisit une autre option.
« Oh, allez-y... Vous n'imaginez pas ce que je suis disposée à croire maintenant !
– Je suis presque un extraterrestre en fait... » Et puis avant qu'elle ne puisse en placer une, il reprit la parole d'un ton plus sérieux. Mais Darcy n'allait pas lâcher ça...

« Un bis avec plaisir. Maintenant que j'ai mis la main sur un "presque extraterrestre" j'ai mes chances à la NASA, plaisanta la jeune femme. Et pour badass... Eh bien... C'est quelqu'un qui est cool. Mais très cool vous voyez ? Un peu dur à cuire ! » Elle devrait noter cette définition pour l'expliquer à Steve.

Puis, elle ramena ses mains sous son menton, et regarda Richard en lui rendant son air comploteur de tout à l'heure. « Du coup, pour vos histoires d'extraterrestre, ça se passe comment ? Vous venez d'une autre planète ou vous êtes plutôt dans le genre super-héros ? » Elle avait posé la question de manière légère, mais elle était réellement intriguée. Se pouvait-il que Richard ne soit pas non plus un vrai humain ? Oh non ! Est-ce qu'elle était vouée à rencontrer des dieux, mutants, superhéros jusqu'à la fin de sa vie ? Pas que ça la dérange, mais elle commençait à se sentir anormalement normale et seule dans ce monde de magie et de pouvoirs. Un peu jalouse, aussi.

Spoiler:

Thunderstruck ⚡

Darcy avait toujours adoré les histoires, et, naturellement, elle souhaitait entendre celle de Richard… avant de décider si elle le croyait ou non. Elle tiqua légèrement lorsqu’il mentionna le S.H.I.E.L.D. – sujet délicat – mais comme elle ne travaillait pas officiellement pour eux, elle ne dit rien. Mais simplement le fait qu’il en parle impliquait qu’elle sache hypothétiquement ce que le S.H.I.E.L.D. était… or, il s’agissait d’une organisation super secrète. Donc, il était lié à eux d’une manière ou d’une autre. Et si c’était le cas, alors, l’histoire de Richard serait réelle : on ne mentionnait pas l’agence de Nick Fury pour rien.  

L’attention que Darcy donna à son interlocuteur était entière – pour une fois, elle fit l’effort de se concentrer à cent pour cent. Son récit la peina : malgré son ton détaché, ses yeux parlaient pour lui et exprimaient une émotion qu’elle n’aurait su décrire, mais qui lui donnait envie de le réconforter. Regrets, amertume, honte ? Elle se sentit coupable – elle si prompte à se plaindre, gentille petite sotte ignorant le fardeau de devoir assumer des responsabilités que l’on n’a pas choisi.

Darcy fit à peine attention à l’homme qui vint contrôler leurs billets, muette et en pleine réflexion. Richard ne mentait pas. Elle aurait dû se sentir… différente peut-être, de rencontrer un autre être exceptionnel. Le presser de questions, lui demander une démonstration de ses pouvoirs, n’importe quoi. Mais son expression l’en dissuadait. Elle éprouvait de la peine pour lui, un besoin impérieux de le réconforter. Darcy pensa à la solitude de tous ces héros que le monde glorifiait ou oubliait : à la fin de la journée, si elle n’allait pas bien, elle avait quelques numéros à composer pour que des amis viennent lui remonter le moral. Comment avouer ses faiblesses quand on est censé sauver le monde ?

Elle voulut dire qu’elle se sentait désolée, mais ça lui semblait un peu déplacé. Au lieu de ça, elle le laissa terminer, esquissa un sourire – non ça va, même avec les méchants extraterrestres elle arrivait à rester en vie – et ne fut pas surprise lorsqu’il lui posa la dernière question.

« Merci de m’avoir raconté tout ça. Je v… t’en suis reconnaissance. Et je te crois. Bon après ça m’est égal qu’on se revoie, à priori je ne suis pas un grand danger pour les puissances cosmiques. Et… non, bien deviné, j’ai déjà rencontré des êtres différents, oui. » Ce fut à cet instant qu’elle hésita. À quel point devait-elle divulguer ce qu’elle savait sur les Asgardiens ? Rien, selon la clause de confidentialité du S.H.I.E.L.D. qu’elle avait signé après l’incident au Nouveau-Mexique. Bon, elle pouvait très bien tourner autour du pot en restant évasive, c’était possible. « Ils sont… d’un autre monde. D’une nature plutôt belliqueuse – certains sont franchement agressifs. Bel euphémisme pour évoquer Loki. Mais ça va, ça s’est bien passé. » Ah oui, on pouvait dire ça, quand les potes cosmiques de Thor avaient débarqué pour les aider et que ce même Thor avait conclu avec Jane.

« Tu sais, reprit-elle, vivre une vie humaine… ça semble être un don en comparaison de ce que tu racontes. Pour rien au monde je ne voudrais savoir ce que tes yeux ont vu… ce que tu n’es pas capable d’oublier. Ses doigts se crispèrent un peu autour de sa tasse. Mais ce n’est pas… si simple, parfois. Tu as entendu parler de l’Ouragan Katrina qui a dévasté la Louisiane en 2005 ? J’avais quinze ans quand c’est arrivé, j'habitais à la Nouvelle-Orléans…  Ça reste un traumatisme pour moi, tout ce que je connaissais était détruit, des amis ont perdu la vie. Elle ferma les yeux brièvement, chassant de ses pensées les images qui revenaient à elle. Puis, sourit à Richard. On trouve toujours un moyen de rebondir, pas vrai ? Depuis, ma vie est plutôt terriblement ordinaire, mais je t’assure que je ne me plaindrais plus, finit-elle en riant un peu. La jeune femme reprit son sérieux. Est-ce que… beaucoup de gens sont au courant de ce que tu es ? Et… est-ce que tu es encore ce justicier, ou est-ce que tes pouvoirs t’ont été retirés ? Et est-ce que tu as une espérance de vie plus longue ou un truc comme ça ? Est-ce que... »

Darcy se rendit compte qu’elle devenait indiscrète. « Désolée, si c’est personnel tu n’es pas obligé de répondre. J’ai tendance à trop parler. »

Thunderstruck ⚡

Tout était détruit. De ses souvenirs, plus rien ne correspondait. L’urgence de son départ avait achevé de brouiller les images de ses derniers instants ici, et ses premiers pas lui firent tourner la tête. Elle n’imaginait pas qu’on puisse avoir écrasé sa ville comme ça, d’un simple souffle, et Katrina avait tout pris. Darcy ne s’était jamais battue contre une armée, elle n’avait pas été élue pour accomplir une mission divine. Elle ne sauvait pas les gens d’une mort certaine, n’avait aucune chance de sauver le monde non plus. Mais elle avait reconstruit sa ville, avec des milliers d’autres, morceau par morceau, le cœur glacé, l’esprit livide. Darcy était repartie bien trop tôt, seule et complètement paniquée, mais elle serait morte si elle ne l’avait pas fait. Elle allait au bout de ses idées, malgré sa peur, malgré son deuil.

Ce que Richard avait du vivre dépassait de loin les cauchemars les plus vivaces de la jeune femme, qui se raréfiaient avec le temps mais qui la hantaient toujours, parfois. Être arraché à sa terre natale et perdre le contrôle de son destin devait être une atrocité qu’elle ne voulait même pas envisager.

Elle lui sourit lorsqu’il s’excusa. Ça n’avait pas lieu d’être. Puis elle l’écouta continuer son récit, sur ses aptitudes et sa longévité. Vraiment, alors ?  « Okay… admettons… T’es né en quelle année alors ? » demanda-t-elle avec un petit sourire. Pour le coup, ce serait chouette s’il venait d’une autre époque. Un peu comme Steve, en fait. Eh bien, finalement, les super-héros, ça courait bel et bien les rues à New-York. Elle rit à sa dernière boutade – ou ce qu’elle comprenait comme une boutade. Darcy se plaignait continuellement d’être célibataire mais elle n’avait pas la place pour quelqu’un, et la direction que prenaient leurs recherches avec Jane rendait toute relation compliquée… pour toutes les deux. Mais, abstraction faite de ce dernier point, Darcy admettait non sans peine que Richard était un homme charmant, et visiblement plein de surprises ! C’était juste super agréable de pouvoir parler avec lui et d’en apprendre plus sur de potentiels mondes étrangers.

« Haha, eh bien en parlant de foudre, heureusement que tu ne m’as pas fait trop peur tout à l’heure, sinon j’aurais dû utiliser mon taser… » ajouta-t-elle malicieusement. L’image de Thor qui s’écroulait dans le sable s’imposa à son esprit et elle dut combattre une envie de rire. Ça restait le plus beau coup de sa carrière. Dieu de la foudre : 0, humaine sans pouvoirs : 1. Heureusement, affable comme il était, il ne lui en avait pas du tout tenu rigueur. Et elle continuait à le taquiner sur ça… Enfin, quand il donnait encore des nouvelles. Darcy nota mentalement d’appeler Jane en rentrant.

« Quatre cents ans ? Tu déconnes ? Actuellement ça voudrait dire qu’une personne serait née autour de 1 600 ? C’est dément ! » Réflexion faite, elle n’aurait pas du tout aimé vivre au XVIIème siècle… Niveau guerres, maladies et ascension sociale, on avait fait mieux.  « Et... de quel race était ton mentor ? » s’enquit-elle d’un ton parfaitement normal, comme si elle demandait un sucre dans son thé. Aussi étrange que ça puisse paraître, Darcy avait finalement bien intégré le fait que d’autres êtres existent comme une évidence. Elle-même avait été la première à avancer la théorie selon laquelle Thor venait d’un autre monde. Et, enfant et adolescente, elle l’avait toujours cru. Etre au cœur des recherches sur les ponts entre les mondes lui permettait d’en apprendre plus.

« Ouais… Quelle heure est-il? Je pense ne pas rentrer trop tard quand même. Mais du coup, reprit-elle,  tu habites seul ? Ou tu partages ta planque secrète avec ton majordome ou ton acolyte ? » Okay, elle venait de comparer Richard à Batman. Il devait bien y avoir un Alfred ou un Robin dans l’histoire, non ? Les grésillements qui survinrent ne l’inquiétèrent pas, mais l’expression soucieuse de Richard, si.

« Tout va bien ? Si c’est votre épaule qui vous fait toujours souffrir j’ai encore des médicaments ! »

Thunderstruck ⚡

La conversation se déroulait à merveille. Les choses auraient sûrement pris une tournure différente si Darcy n’était pas familière aux mondes étrangers, mais elle était contente que ça soit ainsi.

Elle leva les yeux au ciel, un air sceptique sur le visage :  « Quinze millions de volts ? Vraiment… ? En tous cas si tu agonises trop, fais-moi signe. » Puis, elle se rappela qu’en ce qui concernait les volts et autres décharges, elle connaissait un pro en la matière : elle laissa tomber, tout en se notant mentalement de demander à Jane quelle était la puissance des éclairs qu’invoquaient Thor. Même si elle doutait lui reparler un jour de Thor, vu comment la dernière conversation avait fini.

« Alors environ 1960 ?, s’exclama-t-elle. Coool. Les belles années, il paraît. Moi je suis de 1989… La dernière génération à a voir vécu un peu sans Internet, tout ça. » Elle eut un sourire en se rappelant ses escapades à vélo sur les routes désertes de Louisiane.  « Donc ça te fait quoi, entre cinquante et soixante balais ? Ça va, tu les fait pas. Je suppose qu’être un superhéros fournit un bon anti-ride. » Clin d’œil complice. Elle aurait encore une fois dû être étonnée voire choquée, mais après avoir discuté avec des êtres âgés de plusieurs millénaires, ce n’était pas ça qui allait l’impressionner.  « Après, tu vois, je me demande bien ce que je ferais de 400 ans de ma vie… 400 millions de dollars j'ai une plutôt bonne idée, mais 400 ans ? Surtout en tant qu’humain, tous tes amis sont morts depuis des siècles et tu assistes impuissant à la débâcle de l’humanité. Pas très glamour. Je préfère mourir à quatre-vingts ans avec une vie bien remplie plutôt que de vivre trois-cent vingt années de plus en m’ennuyant. »

Elle écouta la remarque sur Star Wars un sourire aux lèvres et se leva à son tour. « Avec plaisir, de toute façon je n'ai plus grand chose à faire ! Par contre si tu dors sur un lit de camp... Je veux bien croire que tu sois pas du genre à vivre dans le confort maximal mais bon quand même ! Ah, et... tant qu'on y est, j'ai une confession à faire. » Ils quittèrent le café, le musée, se retrouvant dans la rue. Darcy n'avait pas trop prêté attention à leur environnement tout à l'heure, mais l'air frais de l'extérieur la réveilla.  « Je n'ai jamais vu Star Trek. Ni... Stargate. Juste Star Wars. Et Alien - mais que le premier. » Eh oui... il lui manquait quelques cartes dans ce domaine-là. « D'ailleurs, ça existe vraiment les vilaines bestioles comme ça immondes et méga flippantes ? Parce-que si c'est ça je mets pas un pied dans l'espace, moi ! » Elle rit, et - comme d'habitude - changea complètement de sujet.

« J'habite par-là, dit-elle en désignant du menton le côté ouest. Dans quel coin de Brooklyn est-ce que tu te terres avec ton lit de camp ? »

Thunderstruck ⚡

Darcy ne vivait pas loin du Musée... en métro, en tous cas. À pied, il fallait bien quelques quarante-cinquante minutes pour traverser le quartier, s'y retrouver parmi les dédales résidentiels pour enfin rentrer dans la bonne rue.
« Je ne te conseille pas de faire agent immobilier, répondit-elle avec un sourire. Et tu n'as pas cherché autre chose ? Un endroit plus confortable ? Le Bronx ça craint un peu quand même... non ? Tiens d'ailleurs on prendra le métro à la prochaine station, ça sera plus rapide - je t'avoue que là j'ai bien la flemme de marcher une heure pour rentrer chez moi. Après c'est facile, je t'indiquerai par où repartir pour rentrer... chez toi où là où tu loges. » Elle écouta son histoire, la réponse à ses questions. Plutôt complètes, jamais dépourvues d'humour, les réponses de Richard avaient du sens et elle appréciait sa gentillesse. Il aurait pu la regarder comme un être inférieur mais il n'en faisait rien. C'était appréciable, elle n'avait pas en permanence à se sentir différente : il agissait comme n'importe quel autre humain ordinaire.

« Je suis vraiment impressionné tu sais... » Darcy sourit. S'il savait... Avec toute la délicatesse et la subtilité dont elle état capable (peu, donc, mais qu'importe), elle tenta de répondre en évitant les écueils les plus évidents.« Ha ha... c'est parce-que, comme je l'ai évoqué un peu plus tôt j'ai déjà rencontré des... êtres différents. Donc j'ai déjà rencontré des aliens - pas tatoués, enfin, je ne crois pas ? (elle chassa une image dansant devant ses yeux et se dit qu'elle demandait à Jane si Thor était tatoué) Et pour sûr ils n'avaient pas plein d'yeux. C'est une expérience assez étrange, je veux dire, ça se sent vraiment qu'ils ne sont pas humains. Ils dégagent une aura tellement différente... Par contre je suis pas forcément partante pour rencontrer un extraterrestre bizarre, dangereux et moche hein. Ni à affronter des créatures informes... Crois-moi je n'ai pas ça en moi ! » Et s'étant imaginé trente secondes en guerrière de l'espace, elle éclata de rire. « C'est plus simple quand on sait déjà que tout ça est vrai. Si je ne le savais pas, je serais sûrement partie en courant c'est sûr ! Enfin, je peux encore le faire tu me diras » ajouta-t-elle malicieusement.

« Il faudrait que je me change un instant pour vérifier quelque chose... Ça te tenterait de visiter mon labo un de ces jours ?
— On peut s'arrêter si tu veux ! Et oui, avec plaisir... voir si tu es plus organisé que ma boss... Si tu veux je te passe mon numéro, avec un peu de chance j'aurais un autre jour de libre à moi pour une visite guidée ! » La pensée qui lui vint après était néanmoins beaucoup moins sympathique. Est-ce que Richard possédait une partie du matériel nécessaire pour construire un pont entre les mondes ? Car si c'était le cas, peut-être pouvait-il l'aider pour réparer le Bifröst ? Pour le moment, pas question de lui en parler, mais peut-être qu'il accepterait ? Après tout, il avait de l'expérience en matière de voyages cosmiques, il pourrait être un bon allié.

Thunderstruck ⚡

S'arrêter pour se changer, okay. Le faire dans une ruelle glauque et sombre - du genre celles dans lesquelles s'engagent les victimes des séries criminelles à la TV... un peu moins okay. « Si tu veux, tu peux venir, sinon, tu peux m'attendre ici, je n'en ai pas pour longtemps... »

Darcy avait beaucoup de qualités. Elle était loyale, et parfois elle pouvait se montrer courageuse (elle avait failli griller pour sauver une ville). Parfois, moins. Et elle préférait nettement courir des dangers du genre devoir affronter un être non humain que de rester seule à l'entrée d'une ruelle ultra-flippante. Alors non, elle ne se sentait pas plus rassurée à l'idée de s'engager dans ladite ruelle mais au moins elle ne serait pas seule et puis si Richard était effectivement un super héros, elle ne craindrait pas grand chose. « Non merci, rester toute seule et me faire zigouiller par un tueur en série très peu pour moi... murmura-t-elle entre ses dents, avant de se rendre compte qu'il était parti sans attendre son commentaire très pertinent. Eeeh mais attends ! » cria-t-elle en lui courant après.

Mais en arrivant près de lui, elle fut clouée sur place par la vision assez surréaliste d'une... armure? se matérialisant autour de Richard. Ça lui rappelait la manière dont l'armure d'Iron-Man se construisait autour de Tony Stark, pour l'avoir vu à la télé. Prudente, elle ne s'approcha pas plus et le laissa s'occuper de ses affaires. Lorsqu'il se tourna enfin vers elle, elle esquissa un mouvement de recul, impressionnée par son nouvel accoutrement, mais retrouva son sourire lorsqu'il lui fit une proposition pour le moins intéressante.

« J'aime pas trop le métro, si tu veux, je te raccompagne par vol spécial, il suffira de mettre ton écharpe bien serrée sur ton nez pour le froid ... ça te dit ? »

La voix sonnait presque inhumaine, modifiée par le casque que Richard portait. Malgré son sourire, Darcy ne bougea pas tout de suite, observant sa main tenue. Est-ce qu'il lui proposait de voler? Vraiment? Elle n'avait jamais eu droit à ce genre d'expérience. Thor avait emmené Jane faire un tour dans les étoiles, mais personne ne se souciait d'elle, ni de lui faire vivre des expériences hors du commun. Elle était touchée par la gentillesse de Richard. Il ne la connaissait pas, même si en peu de temps ils en étaient venus à s'apprécier mutuellement, il n'avait aucune obligation de faire ça.

Sans le voir, elle sentit qu'il lui jetait un regard curieux. Alors, oui ou non ? Avec un large sourire, elle attrapa sa main, lui donna son adresse. « Si monsieur le veut bien, je serais ravie de l'accompagner! » Et, comme il le lui avait conseillé, elle enroula son écharpe autour de son cou, boutonna son manteau, réajusta son bonnet. « Bon tu me laisses pas tomber hein? J'ai pas vraiment envie qu'on retrouve ma dépouille éclatée sur le bitume... et, rien à voir, mais du coup quel est ton nom de super-héros? »

Oh, pour rien au monde elle ne raterait ça, cette virée dans le ciel à la nuit tombée. Parée au décollage !