« On se voit au café alors ! »
Visiblement, la notion de « prendre en compte l’avis des autres » n’a pas effleuré l’esprit de mon amie, dont la voix laisse place à une tonalité agaçante. Je raccroche, mi mortifiée mi ennuyée. J’avais prévu de faire joujou avec mon nouveau bâton, plutôt que de courir après cette cinglée de Macy. L’envie de sécher ce rendez-vous impromptu me vient, mais j’ai peur d’avance des représailles. Cette femme est archi-dangereuse ! J’enfile au hasard des habits qui traînent en désordre et m’éclipse avec la discrétion du lion de mer.
Avec mon incroyable rapidité, j’arrive bien plus tôt que prévu, et consulte un sms de la jeune femme qui m’annonce que finalement, elle a la flemme de venir. J’hésite un instant à fracasser le mobile par terre en hurlant. Je stoppe mon mouvement, le bras en l’air et la bouche déformée par un rictus, alors que les passants me dévisagent. Mélange de consternation et de trouille dans leurs yeux. Je change de trottoir.
Un magasin de comics me sauve la vie, je m’y engouffre avec le désespoir de l’asticot à l’approche d’une rangée de dents, alors qu’une flopée de gamins se rue dans mes jambes. Je lève les yeux au ciel et attrape le dernier par le collier. Je lui crache à voix basse, les yeux dans les yeux : « Le prochain qui me rentre dedans, je le BOUFFE ». Effet immédiat, le gamin se barre en courant. Je me tourne face au magasin, seul un homme assez proche de moi me regarde, choqué. J’hausse les épaules et lui sourit. J'ignore totalement si d'autres m'ont entendue pester, de toute façon, j'm'en fiche. Presque.
Je ne pouvais tout simplement pas terroriser des gamins et ressortir comme si de rien n’était. D’un autre côté, je n’avais rien à acheter. Quoique… Un anniversaire se profilait dangereusement, celui du fan d’Iron Man qui me servait de petit-frère/esclave/excuse pourrie. Je consulte rapidement mon porte-monnaie, consternée de n’y voir qu’un emballage de chewing-gum. Avec la motivation du guerrier que sommeil forcément en moi, je m’avance au-devant du danger : le vendeur. Dix têtes de plus que moi, six yeux et vingt-quatre bras, au moins.
« Excusez-moAaaah ! Récupération d’urgence avant de me planter le bec dans le sol. Belle entrée en matière. Herm… je cherche un… truc… sur un genre d’Iron Man. »
Ce nom m’arrache la gorge, mais ça n’a rien à voir par rapport à la honte qui me ravage. Je dois être rouge écrevisse périmée. Je me frotte l’arrière du crâne, un sale tic. Sans laisser parler l’homme qui me fait face, j’ajoute : « Un bien, où il se fait casser la gueule par n’importe qui ». Après tout, ne dit-on pas que c’est l’intention qui compte ? J'ose planter mon regard dans celui du vendeur, sans le détailler physiquement. Rose, je me dis intérieurement, il est temps d'assumer que tu tiens plus du phoque tétraplégique que du mannequin.