Chinatown était bondé, ce jour-ci. On avait l'habitude, puisqu'il s'agissait d'un quartier plus que visité par les touristes. Cependant, les activités du jour étaient différentes de celles de d'habitude. Car aujourd'hui, le marché était de sorti. Les stands avaient poussés comme des champignons et le nombre de citoyens au mètre carré avait explosé. C'était simple, la foule était compacte dans les voies de circulation, et il y avait parfois des attroupements autour de certains stands. Lazare, lui, savait qu'il n'y avait pas que des honnêtes gens qui traînaient, dans ces cas là. Après tout, qui pouvait dire d'où venait la marchandise de ce vendeur de montres, là-bas ? La 14K devait aussi traîner dans les environs, même si Lazare n'avait pas vraiment très envie d'avoir d'avantages de choses à faire avec eux, il devait se plier à la demande fournie en échange de son appartement dans les environs. Plus vite il aurait finit son quota d'heures de boulot, plus vite il pourrait claquer la porte et oublier tout ça.
Mais pour l'heure, il avait décidé de profiter d'un peu du marché pour l'heure actuelle. Eva était sans doute à la maison. Ou pas. Qui sait ce que son épouse était partie faire. Elle passait son temps dehors à flâner dans le coin. Cela ne plaisait pas vraiment à notre mutant, qui craignait qu'il lui arrive quelque chose dehors. Après tout, son épouse avait beau être physiquement in-tuable, elle restait un peu candide et apte à se faire piéger. Mais c'était comme ça, Caron passait son temps à ne pas écouter ses directives, partait ici et là, le laissant donc s'inquiéter. Mais que pouvait-il faire contre ?
« Brgblblbl... »
L'idée de profiter d'un bon repas chaud ne tarda pas à lui hanter l'esprit. En tout cas, les bruits de son estomac suffisaient à l'en convaincre. Il décida donc de s'attarder à chercher un lieu où prendre quelques forces. Circulant dans la foule du haut de sa grandeur, il dépassait d'une tête voir plus les humains qui passaient à coté de lui. Ces derniers n'étaient pas tellement dérangés par sa présence. Quelques touristes ne purent s'empêcher de photographier ou d'être surpris, mais globalement, la plupart des gens du coin étaient au courant qu'un couple de mutant avait emménagé. Mais bon, à part sans doute quelques xénophobes, la population restait neutre. Lazare essayait d'être aussi réglo que possible avec elle. Être un mutant, ça voulait peut-être dire pouvoir. Mais çà voulait aussi dire nécessité de se tenir à carreaux.
Enfin... du moins... devant tout le monde.
Oui, car notre mutant était au courant qu'il n'avait pas fait que des belles choses. Mais après tout, personne n'était au courant et il s'efforçait de réduire ses activités. Il devait... Chercher un remède. Un remède pour sa femme. La communauté scientifique, pourtant à l'origine de l'accident, n'avait jusque là pas été en mesure de lui proposer une réponse valable, ce qui attisait la colère de notre mutant. Et sans son épouse pour apaiser cette colère, il finissait par s'emporter et faisait quelque chose dont de toute manière il ne serait pas fier par la suite.
C'était tout le problème de Lazare.
Son fond n'était pas mauvais, cependant, il était possessif, impulsif, et surtout bien trop amoureux de son épouse. Si bien que dès que quelqu'un pouvait lui poser problème, il entrait dans une colère noire et calmait ensuite cette dernière dans les éclaboussures de sang de celui qui avait porté tort à sa femme. Entre xénophobes, scientifiques incapables et étranges individus cherchant à la capturer, la liste des gens qui pouvaient s'attirer les foudres de Lazare était longue et ses crimes passionnels étaient légions. Le reste du temps, quand tout allait bien, le mutant se montrait plutôt discret, pratiquait des activités normales et avait même un job réglo au lycée. Bref, il agissait comme n'importe quel citoyen lambda et non comme le tueur en série qui composait son second faciès. C'était un sur-protecteur poussé à son extrême.
Il finit par trouver un stand un peu moins fréquenté où il pouvait prendre sa pause. Il s'agissait d'un de ces petits restaurateurs situé à fleur de rue, sur les cotés d'une allée piétonnière. Lazare se saisit de l'un des quelques sièges à proximité du comptoir qui donnait directement sur la cuisine. « Bonjour ? Ce sera quoi ? » lui demanda le propriétaire des lieux. Sans doute ses assistants étaient de sa famille ou bien ses amis. C'était comme ça que ça fonctionnait, dans les parages. « Urg... Ce que vous voulez tant que ça tiens bien au corps. » répondit Lazare en haussant les épaules. L'homme sembla inspecter la carrure du mutant et appela du renfort pour aller vider la réserve. Encore un ennui d'être un poil plus imposant que les autres, il mangeait trois fois plus. Et forcément, ça lui coûtait trois fois plus cher.
Lazare souffla et posa ses coudes sur le comptoir avant de se masser les tempes. Le vide, il avait besoin de faire le vide... Et surtout ne pas songer à quoique ce soit qui pouvait l'énerver.
En ralliant la Terre, il s'était figuré que son rival serait difficile à trouver au sein de la masse grouillante des Terriens, mais qu'une fois localisé, leur confrontation suivrait inévitablement. Or, l'inverse semblait se produire, puisque Daniel Rand-K'ai, neveu de feu l'Auguste personne de jade de K'un-Lun, était une célébrité new-yorkaise (un " PDG ", ce qui représentait la caste dominante, sur Terre, de ce qu'en avait compris Davos). À ce titre, le porteur de l'Iron fist avait à ses ordres des centaines de serviteurs (ou " employés ") et possédait la richesse d'un petit seigneur de canton. Une myriade de gardes assuraient donc sa sécurité, en sus de technologie terrestre déployée pour veiller sur ses arrières, le rendant très difficile à affronter. Heureusement pour Steel Serpent, le jeune homme partageait l'effronterie de sa parentelle, et trouvait apparemment très distrayant de se déguiser régulièrement avec une tenue légère verte et jaune pour prétendre devenir quelqu'un d'autre (un dénommé Iron Fist ; l'absence abyssale d'inventivité dans cette alias frôlait le ridicule) et prêter main-forte aux miliciens de la ville. Daniel K'ai, à qui le trône de K'un-Lun pouvait revenir s'il le souhaitait, possesseur d'une force mystique unique, ne trouvait rien de mieux à faire de son temps libre que de se travestir en redresseur de tort pour combattre des brigands de la Terre, soit la lie des adversaires d'un guerrier de son acabit.
Kung puisait ces informations d'une visite du cœur de la ville, le quartier dit de " Manhattan ". Derrière lui, le natif des citées célestes laissait un employé passablement mal en point, à qui il avait infligé de menues sévisses corporelles afin de le pousser à lui fournir les indications qu'il réclamait (fracture du poignet et peut-être une côte déplacée). Sa victime s'était rapidement montrée coopérative, chose dont le guerrier avait perdu l'habitude, et il apparut après-coup que même sans menaces, ses questions auraient trouvées des réponses. Quelque-part, donc, dans cette vaste cité de New york, l'Iron Fist se tenait prêt à intervenir si d'aventure, on prétendait commettre un délit. Pour Davos, il suffisait d'attirer l'attention de sa cible en violant la loi (mais pas d'un autre justicier ; or ils étaient nombreux, dans les parages) pour obtenir son occasion de récupérer son dû. À tout hasard, ses pas se dirigèrent vers le sud, la portion de la mégalopole qui était le plus susceptible d'évoquer K'un-Lun au jeune champion : Chinatown. Et effectivement, l'atmosphère ambiante renvoya aussitôt le mercenaire de l'Hydra à son monde d'origine. Les habitants de K'un-Lun, globalement issus depuis plus ou moins de générations de pays asiatiques, usaient de dialectes très similaires aux langues qui parvinrent aux oreilles du promeneur. Ça et là, des signes de l'influence terrestre se faisaient ressentir, mais il ne se sentit pas dépaysé. Comme à K'un-Lun, les artères étaient bondées, débordantes de vie et de cris, de joueurs de go, majong, dés et shogi ; les étales arboraient des légumes connues aux yeux du quadragénaire, et il discerna en plus d'une occasion les silhouettes facilement identifiables de représentants d'une caste dominante (ceux que personne n'osait bousculer ou regarder trop longtemps, et qui déambulaient avec assurance au milieu des rues). L'odeur appétissante de fritures et les effluves de soja l'incitèrent à aller déjeuner dans un restaurant. Le client actuellement servi dans l'échoppe lui évoquait un reptile à taille humaine, posté sur ses pattes postérieures – détails qui fit s'arrêter Davos, le temps d'observer ce colosse d'écailles de plus près.
« Xin chào ! »Se fendit l'homme de retour derrière le comptoir, en pensant reconnaître un compatriote.
« Xin chào »Rétorqua distraitement Kung en s'installant juste à côté de la créature – simplement parce qu'il s'agissait de la première place vide – en reconnaissant la langue des habitants du quartier Est de K'un-Lun.
Certains clients et employés considérèrent cette décision comme courageuse, ou téméraire, au vue des œillades discrètes qu'ils lancèrent au brun. Celui-ci n'y prêta aucune attention, préférant passer sa commande, afin de voir ce que valait la cuisine Terrienne.
« Deux dabao, pour moi. Et une brochette de sauterelles grillées, s'il vous en reste. »Commanda donc le nouvel arrivant d'un ton autoritaire, sans se douter que le restaurateur d'origine Vietnamienne ne connaissait pas les bouchées vapeur sous leur appellation chinoise.
Plus inquiété par son précédent client, toutefois, le cuisinier s'attela à tirer du feu et assembler aussi promptement que possible une assiette capable de rassasier l'imposant saurien manifestement tendu. Par une succession rapide de gestes devenus automatiques avec la pratique, tout ce qu'il restait au commerçant de poulet grillé et épicé sauce coco rejoignit une généreuse portion fumante de riz sauté au wok, avant d'atterrir devant l'Écossais.
« Bon appétit, monsieur ! »Lui souhaita le Vietnamien en inclinant son buste, tout en formulant le vœux silencieux que Lazare soit satisfait par ce monceau de nourriture.
Davos, mal à l'aise dans ses vêtements, ouvrit la veste grise dont l'Hydra l'avait affublé, dévoilant la chemise en lin blanc sous-jacente. Son pantalon lui paraissait peu pratique pour effectuer certains mouvements en combat, et il regrettait d'avoir dû se débarrasser de sa tenue d'antan. Arnold Brown, chargé d'accompagner son insertion sur Terre, lui avait néanmoins soutenu qu'il ne serait jamais parvenu à se fondre dans la masse avec son kimono vert sombre. Un appareil portatif au poignet devait lui servir à connaître le moment précis de la journée dans lequel il se trouvait – une préoccupation essentiellement Terrienne, puisque les résidents des Cités Célestes vivaient largement plus à leur gré. Et il y avait cette étonnante petite bande de matière solide, qui faisait office de devise internationale, à New york. Steel Serpent s'était amusé du fonctionnement simpliste de l'objet, sans s'habituer à la perte du poids familier d'une bourse de pièces d'or à son côté. Cette " carte de crédit " devait être si aisée à perdre, ou à dérober ! On n'en percevait pas le poids, et elle tenait dans la main...
« C'est lui, là ! »
Un groupe compact de cinq individus de la caste dominante s'approchèrent à grandes enjambées de l'échoppe, excités. Le meneur, qui devait être pratiquant des arts martiaux au vue de son crâne rasé et de sa silhouette musclée, dépassait d'une tête le reste de sa cohorte. Grimaçant une forme féroce de sourire, l'intéressé fit craquer ses jointures, tandis que ses suivants trépignaient dans son dos. L'un d'eux jouait ouvertement avec un couteau dont le mécanisme – rétractile – éveilla un début de curiosité chez Davos.
« Hey ! T'es l'nouveau gros bras d'la 14K, toi, nan ? T'as pas trop l'air de savoir où t'as mis les pieds, alors j'vais t'faire une fleur.Il se désigna du pouce, parlant d'un même ton rocailleux.Je suis Hai Duong, des Weida Long. On est le nouveau gang qui va régner sur ce quartier. La 14K, c'est de l'histoire ancienne, et ceux qui bossent pour eux sont voués à crever avec elle... T'aurais plutôt intérêt à nous rejoindre, si tu vois c'que j'veux dire... »Termina le Chinois, dans ce qu'il s'imaginait être une allusion subtile à un passage à tabac en cas de refus.
À K'un-Zi, pareille scène relevait de la vie quotidienne. L'exilé ne s'étonna donc pas d'en être témoin sur Terre, et se sentit même réconforté de voir que certaines choses ne changeaient pas. Son estomac, en revanche, n'escomptait pas patienter indéfiniment. Il ignora donc vertement le quintet – qui déployait de louables efforts pour paraître intimidant – et héla le propriétaire.
« Cuisinier ! J'attends toujours mes dabao et ma brochette. »
Notre mutant écailleux ne fit aucune réflexion quand ce quidam vint s'asseoir à côté de lui. Après tout, son nom n'était pas inscrit sur toutes les places. Lazare en fut même étonnamment satisfait. Pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, parce que cela voulait peut être dire qu'il finissait enfin par s'intégrer à la communauté et que les gens acceptaient sa présence de mutant, ce qui constituait un objectif en soit. Il aurait moins à s'inquiéter pour son épouse si elle devait être amenée à se balader seule ici. Dans un second temps, parce qu'il se étrangement respecté et enfin, parce qu'il reconnut un peu de bravoure de la part de cet homme, ce qui était plaisant a voir.
L'homme avait échangé un mot avec le propriétaire des lieux que Lazare ne comprit guère et il passa commande. Force était cependant de constater que le gros de l'attention du cuisinier était dirigée vers sa demande de mutant. Il en aurait été presque gêné. Quand on lui présenta enfin une quantité non négligeable de nourriture sous le nez, Lazare approuva d'un petit signe de tête et étouffa un « Merci ». Sans s'en rendre compte, sa mauvaise humeur s'évaporait petit à petit. Avant d'attaquer quoique ce soir, Lazare se permit de glisser quelques mots a l'homme assis à côté de lui.
« Il est toujours réconfortant de se retrouver devant un bon repas chaud, n'est ce pas ? »
Avant que quelconque discussion ne se poursuive, il fallut rapidement que des éléments perturbateurs viennent mettre le souk et, par la même occasion, ruinent les chances qu'avait Lazare de prendre un temps mort qui lui permettrait de décompresser. Et pour être franc, ces types n'avaient pas l'air de gros malins. Sans doute un énième groupuscule de branleurs débraillés qui s'imaginaient que la vie de gang était facile et qu'il suffisait de jouer les gros bras. Sauf que non seulement ce genre de business demandait d'être rusé comme un Sioux, mais en plus, la discrétion était une notion clé. Les triades chinoises l'avaient bien compris, et il y avait tout intérêt à éviter de parler des affaires en public et à éviter de révéler son affiliation. On pouvait se permettre de donner quelques signes discrets, mais il ne fallait pas donner de preuves directes susceptibles de vous envoyer en case prison directement. Ces espèces de gorilles qui jouaient les caïds avaient visiblement loupés une classe en matière de crime organisé. Ou alors c'était les dernières recrues du gang qui se pensaient tout permis suite à leur récente affiliation et qui pensaient que les films mafieux étaient la stricte réalité.
L'homme a côté de Lazare ne fit même pas semblant de leur accorder un seul crédit d'attention. Ce qui était sans doute la bonne attitude. Mais comme il était a parier que ces racailles de bas fonds allaient insister, Douglas se décida à finalement intervenir lui même.
« Je ne sais pas qui vous êtes ni de quoi vous parlez, mais ici, on mange. Donc a moins que vous ne vouliez des nouilles, partez d'ici, vous empêchez les gens de circuler et d'accéder à cette échoppe. Je vous remercie de votre compréhension et vous adresse mes salutations les plus distinguées. » lança t-il.
Bien sur ils n'allaient pas partir. Mais ça allait lui faire une raison d'agir quand ils allaient insister et que Lazare allaient enfoncer sa paire de baguette dans les orbites du crâne du plus grand. Il se recentra donc sur son repas et commença à manger.
« C'est très bon, merci. Dommage que le voisinage des environs soit aussi nuisible. Mais bon, c'est pas de votre faute. Je laisserais une bonne critique si vous avez un emplacement dans l'annuaire du web. » dit-il la bouche pleine.
Oooh, ça allait chier. Et sa femme n'allait pas être contente.