Je suis sûre que je ne manquerais même pas à Monsieur et Madame Smith. Madame Smith sera triste au début, c’est sûr, mais ça finira par lui passer et ils retourneront tous les deux à leur petite vie tranquille et essayeront peut-être dans le futur d’adopter un autre enfant. Mais pas moi, c’est fini, je ne retournerais plus chez eux, ni à St Agnès. Marie-Claire va me manquer, mais l’orphelinat n’est pas un bon endroit. Je ne veux pas y retourner.
Je lève la tête vers le ciel, observant un instant le soleil avant de corriger la position de mon sac à dos qui tombe légèrement d’un côté. Il n’y a pas grand-chose dedans, juste quelques vêtements, une serviette, une peluche et une bouteille de jus de fruits. Je ne l’ai même pas volée celle-là, c’est Madame Smith qui l’a donnée hier. C’est comme la barre de céréales que j’ai mangé il y a quelques heures, j’ai fait exprès de la glisser en douce dans ma poche, faisant mine de l’avoir mangée pour qu’elle ne se doute de rien. Ça fait des jours que je prépare mon coup et personne ne m’arrêtera.
Mais ça doit bien faire des heures que je marche et le soleil est suffisamment haut dans le ciel maintenant. Monsieur Smith est déjà probablement au travail, comme tous les jours de semaine et Madame Smith a sans doute remarqué mon absence. Elle a sans doute aussi prévenu les autorités. Mais j'ai un avantage : ils doivent me chercher sous le nom de Marie Sue Poots alors que je m'appelle Skye. J’ai déjà vu deux voitures de police passer dans la rue, mais heureusement, je suis assez rapide pour me cacher derrière une poubelle ou sous une haie avant que les officiers ne me voient. Je suis encore assez petite pour tenir dans de petits endroits.
Mais à force de marcher, d’avoir fini mon jus de fruits et sans rien d’autre à manger, je commence à douter de la suite de mon plan. Je ne retournerais pas chez les Smith, ni à l’orphelinat, c’est certain, mais je ne sais pas vraiment encore où je vais aller. Avec les quelques pièces que j’ai récupérées dans des cadis devant un supermarché ou dans les machines qui distribuent les tickets de parking, j’ai pu acheter une cannette. C’est tout.
Et maintenant que la journée tend vers l’après-midi, je ressens la fatigue. J’ai fugué en plein milieu de la nuit, sautant de la fenêtre de ma chambre. Je me suis même déchirée le pantalon au niveau des genoux, mais c’est un bobo de rien du tout, je ne vais pas pleurer pour ça, je ne suis plus un bébé. Je n’ai pas de quoi les soigner et puis ça guérira tout seul, ça a déjà arrêté de saigner.
Fatiguée, je m’assois donc sur les marches à l’entrée d’une maison, évitant de faire un contact visuel avec les gens, faisant mine d’être une parfaite petite écolière qui prend simplement cinq minutes pour se reposer.
Mindy vient de fêter son premier anniversaire et Marcus avait beaucoup de mal à se rendre compte d’à quel point le temps passait vite. Cela faisait déjà un an qu’elle vivait chez lui, qu’il s’en occupait comme si elle était sa propre fille, pendant que Damon purge sa peine en prison. Il avait le sentiment que c’était hier qu’on lui confiait le petit bébé qui n’avait personne. Et voilà qu’elle avait un an. Elle était juste parfaite, Mindy grandissait très bien, elle était une petite fille pleine de vitalité. Marcus avait eu peur que son histoire la traumatise, mais elle semblait quand même se développer parfaitement. Oh, le policier avait conscience que bientôt elle allait commencer à poser des questions, qu’elle allait se questionner sur ses parents. Parce qu’il ne se faisait pas passer pour son père. Il ne savait pas si Mindy pouvait déjà le comprendre, mais à aucun moment le jeune homme n’avait prétendu être son père. Il n’était que son tuteur, quand bien même il l’aimait comme la fille qu’il n’avait pas eu, et qu’il n’aurait jamais.
L’idée que d’ici quelques années, Mindy retourne avec son père, li déchirait quand même le cœur. Mais pour l’heure, ce n’était pas encore le moment d’y penser. Pour l’heure, Marcus n’avait aucune raison de s’inquiéter pour la petite fille. Tout se passait très bien. Et comme tous les jours, Mindy avait été conduite chez sa nourrisse le temps que Marcus fasse ses heures de services, heureusement que l’homme avait réussi à mettre la main sur une femme qui acceptait les heures décalés. Comme tous les jours, le jeune homme patrouillait au bord de sa voiture. Pour le moment, la journée était plutôt calme. En tout cas, Marcus n’avait rien vu de particulier. Il avait tout de même entendu à la radio qu’une petite fille avait disparu, il avait évidemment écouté sa description, il avait bien noté l’information.
Ce fut pour cette raison que quand il passa dans une rue et qu’il vit une gamine assise sur les marches d’une maison, il ne put s’empêcher de s’y intéresser. Rien ne pouvait lui garantir qu’il s’agissait de Marie Sue Poots, mais ça valait quand même le coup de se renseigner. Dans tous les cas, le jeune homme n’aimait pas réellement voir des enfants si jeunes seul dans la rue. Il gara sa voiture, sortie et s’approcha de l’enfant.
« Salut petite. » Dit-il avec un sourire, se montrant le plus sympathique possible. Il avait toujours eu un don avec les enfants. « Tu vas bien ? Tu es perdue ? »
Il ne put s’empêcher de l’observer avec détail, elle semblait correspondre à la description qu’il avait entendu si sa mémoire était bonne, mais il ne pouvait pas non plus affirmer comme ça que c’était elle. Dans tous les cas, que ça soit elle ou non, il se demandait vraiment si cette petite fille était perdue ou non.
Je sursaute lorsque la voiture s’arrête près de moi et qu’un grand monsieur noir en sort. Il est très imposant comme ça, avec sa taille de géant, mais j’essaie de ne pas bouger. Peut-être que si je ne bouge pas, il va continuer son chemin dans sa voiture et me laisser tranquille. Mais c’est bien pour moi qu’il semble s’être arrêté et je me fige, faisant de mon mieux pour ne pas paraître suspecte.
« Bonjour monsieur » je réponds, parce que même si je n’ai pas envie de parler à ce monsieur, on m’a toujours appris à être poli, même envers les personnes que tu ne connais pas. Puis viens la question fatidique et je réfléchis à la meilleure façon d’y répondre. On m’a dit de ne pas mentir, mais si je dis la vérité, il va me ramener chez monsieur et madame Smith et je n’ai pas envie que ça m’arrive. « Oui je vais bien, je rentre de l’école. » J’indique mon sac pour faire bonne figure alors qu’il est simplement bourré de mes affaires et non pas de cahiers. Et je ne vais pas lui dire que je n'ai pas mangé ni bu grand-chose, je ne peux pas lui montrer mes faiblesses, car les messieurs officiers viennent aider les gens qui ne vont pas bien. Et je n'ai pas besoin d'aide.
« Je faisais juste une pause, parce qu’il fait chaud. » Ça c’est une bonne stratégie, s’il pense que je suis fatigué, il sera étonné si je m’enfuis soudain et peut-être qu’il ne me rattrapera pas. Mais il est très grand et il a de très grandes jambes, il peut facilement me rattraper, alors il faudra que je me cache.
Je regarde dans la rue, essayant de déterminer le meilleur chemin pour aller là où je veux, même si je ne sais pas exactement où je veux aller, mais en tout cas, loin de la maison de monsieur et madame Smith et loin de l’orphelinat, je ne veux pas retourner là-bas. Ils ne veulent pas de moi non plus, alors ça tombe bien.
Mais le grand monsieur l’agent est toujours là et son uniforme est très imposant aussi, comme sa taille et il n’a pas l’air de vouloir partir, même si je ne dis plus rien. Alors au lieu de dire une chose qui pourrait me trahir, je regarde le sol en traçant des dessins avec ma chaussure, faisant passer le temps en espérant que mon silence va le faire partir. Parce que je sais que je ne peux pas rester ici indéfiniment, mais je ne veux pas qu’il me ramène non plus. Pas chez monsieur et madame Smith et sûrement pas à l’orphelinat. Mais tant que ce grand monsieur l’agent n’aura pas bougé, je ne pourrais pas faire grand-chose. Au moins, il me fait de l’ombre et me cache du soleil, c’est agréable.
La petite fille le salua, ce qui était un bon début. Marcus ne savait pas vraiment ce que faisait cette petite fille toute seule dans la rue – et c’était bien pour cela qu’il prenait la décision de la rejoindre afin de lui poser la question –, mais au moins elle ne prenait pas la fuite et c’était une très bonne chose. Elle lui apprit alors qu’elle n’était pas perdue, qu’elle se contentait simplement de rentrer dans l’école. Elle avait son sac d’école, alors en soit il ne pouvait pas affirmer haut et fort qu’elle mentait bien sûr, mais en même temps il ne pouvait pas complètement ignorer non plus le fait qu’il avait entendu le fait qu’une petite fille avait disparu. Il ne pouvait pas affirmer que c’était elle, mais elle ressemblait quand même un peu à la description qu’il avait entendu à la radio.
Dans tous les cas, que ça soit elle ou non, Marcus ne pouvait pas s’empêcher de se dire que la petite fille était quand même un peu jeune pour se promener seule. Même si c’était simplement pour rentrer de l’école. Bon, rien ne pouvait lui permettre réellement de mettre en doute les propos de la jeune fille, parce qu’il ne pouvait pas savoir si elle mentait réellement. Donc, le jeune homme n’avait dans tous les cas pas l’intention de juste passer son chemin.
« C’est vrai qu’il fait chaud. » Répondit-il dans un sourire. Marcus se disait qu’il devait quand même se montrer le plus agréable possible avec la jeune fille, afin qu’il puisse obtenir un peu sa confiance. Parce que c’était ainsi qu’il allait pouvoir obtenir quelque chose. Enfin, en même temps il n’allait pas se contenter simplement de dire ça et de reprendre sa route, il ne pouvait pas se le permettre. « Tes parents ne viennent pas te chercher à l’école ? » Demanda-t-il, alors, en craignait bien trop de connaître déjà la réponse. Parce que si cette petite fille rentrait bien de l’école, c’était soit que celle-ci était très proche et donc qu’elle n’avait pas vraiment de raison de faire une pause… soit, que l’école était loin et qu’elle était quelque peu abandonnée. Autant donné que dans tous les cas, c’était un peu particulier. Marcus n’avait pas l’intention de s’en aller, pas sans s’assurer que cette petite fille trouvait bien son chemin. « Je suis de la police tu sais, je peux te raccompagner chez toi si tu veux. »
Si elle voulait… mais en fait, Marcus n’avait pas réellement l’intention de donner le choix à la petite fille. C’était bien mieux qu’il ne lui laisse pas le choix donc, qu’il s’assure qu’elle rentre bien chez elle, qu’elle soit ou non cette petite fille disparue.