Docteur en psychologie E. ZAHNNA
3 juin 1999, à Fort Lewis, État de Washington, USA
1ère séance avec la recrue R. MILLER— Bonjour Raphaëlle, je suis le docteur Elizabeth Zahnna. Je vais être votre psychologue durant les prochains mois et tout le long de votre formation avant que vous ne voyez admise dans la Marine.
— Et ensuite ?— Ensuite, tout dépendra de l’endroit où vous serez mutée. Je vois que vous avez déjà effectué votre test de personnalité, tout m’a l’air bon, pas de soucis de ce côté-là. Je vais donc passer directement aux questions. C’est une procédure par laquelle passent toutes les recrues. Vous n’avez pas de temps imparti pour répondre aux questions, mais répondez honnêtement, je vous prie. Quel est votre nom complet ?
— Raphaëlle Olivia Miller.— Quelle est votre date de naissance ?
— 2 mars 1981.— Vous avez donc dix-huit ans ?
— Oui.— Avez-vous complété votre enseignement secondaire ?
— Oui, j’ai fini le lycée le mois dernier.— Quels sont les noms et les professions de vos parents ?
— Mary Sofia Miller, née Flanfield, infirmière et Robert Miller, chimiste et professeur à mi-temps à l’Université de Seattle.— Avez-vous des frères et sœurs ?
— … non.— Mais vous aviez une sœur ?
— Oui. Julia Stéphanie Miller.— Avez-vous déjà été mariée ?
— Non.— Avez-vous des enfants ?
— Non.— Quelle est la raison pour laquelle vous vous êtes engagée dans l’armée ?
— Je voudrais apporter ma pierre à l’édifice, faire en sorte de rendre ce monde plus sûr, de le rendre meilleur pour les générations à venir. De défendre celui qui ne peut pas se défendre, que ce soit en faisant ses combats à sa place ou en neutralisant la menace avant même qu’elle ne fasse des victimes.— Raphaëlle, pourquoi t’es-tu vraiment enrôlée ?
— …— Je suis contrainte de rédiger un rapport pour chacune de nos sessions, mais je suis la seule à décider ce que je mets dedans. Je suis là pour t’aider, pour te permettre d’avancer et de donner le meilleur de toi-même. Je sais que tu t’es engagée pour une autre raison que le texte appris par cœur que tu viens de me réciter. Et je suis curieuse de la connaître.
— Pourquoi ?— Parce que tu aurais pu faire toutes les professions du monde, mais tu as choisis d’entrer dans l’armée. Avec ton physique, tu aurais aisément pu devenir mannequin ou actrice et tes résultats scolaires m’indiquent que tu aurais tout aussi bien pu suivre les traces de ton père dans un domaine particulièrement ardu intellectuellement comme les sciences. Et si tu tenais à aider ton prochain, tu aurais pu tout aussi bien faire comme ta mère et t’orienter vers la médecine, avec tes résultats, je suis certaine que tu n’aurais pas eu de mal à devenir docteur. Alors, pourquoi l’armée ? Surtout que c’est un domaine presque intégralement masculin et que, pardonne-moi l’expression, tu n’es pas exactement un garçon manqué.
— Après le décès de ma sœur, je n’arrivais plus à fonctionner. C’était comme si le monde venait de perdre toutes ses couleurs. J’ai été traitée pour la dépression et vous êtes loin d’être le premier psychologue à qui j’ai affaire. J’avais besoin d’une activité qui allait complètement me vider l’esprit tout en me permettant de vivre d’après les valeurs de ma sœur, ma façon à moi de lui rendre hommage. Elle voulait faire de ce monde un endroit meilleur et voulait lutter pour la cause féminine dès notre plus jeune âge. C’est pour ça que j’ai choisi l’armée, pour faire quelque chose de stimulant, pour me mettre au défi et pour me permettre de faire mon deuil sans retomber dans la dépression tout en me faisant une place dans un monde qui est majoritairement masculin.— Une noble cause en effet.[…]
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Docteur en psychologie E. ZAHNNA
18 septembre 1999, à Fort Lewis, État de Washington, USA
4ème séance avec la recrue R. MILLER— Pourquoi n’es-tu pas venue aux séances précédentes, Raphaëlle ?
— J’avais besoin d’être seule.— Ton agression a eu lieu il y a presque un mois maintenant. Je comprends ton besoin de solitude, mais tu aurais du venir me voir plus tôt. Pourquoi te vois-je maintenant dans ce cas ? Tu es déjà guérie ?
— Non, mais je vais suffisamment bien pour pouvoir en parler, Doc.— D’accord, alors que souhaites-tu me dire ?
— …j’ai porté plainte contre Davenport, officiellement et en présence du Caporal Brens.— Davenport est celui qui t’as agressée ? Souhaites-tu me raconter ce qui s’est passé ?
— Ce n’était pas la première fois qu’il faisait des insinuations et des commentaires déplacés sur le fait que je suis une femme et que je n’ai pas ma place dans l’armée. Et des violences physiques nous en subissons tous les jours durant les simulations spéciales en environnement hostiles. Je n’avais pas peur, mais c’est la première fois qu’il m’a physiquement menacée. Il s’est arrangé pour que nous soyons seuls à la fin de l’entraînement.— Il t’a frappée ?
— Oui, quand je l’ai repoussé, il m’a giflée. Je l’ai giflé en retour et c’est là qu’il m’a poussé contre le mur. Puis contre la fenêtre.— Les autres sont arrivés à ce moment-là ?
— Oui, Griffin avait entendu des bruits, du verre qui se casse alors il a fait demi-tour et nous a séparés. Mais Davenport avait eut le temps de déchirer mon uniforme. Il a été suspendu.—Tes blessures sont donc dues au fait qu’il t’a violemment poussée contre le mur et la fenêtre ?
— Oui.— Même tes hématomes ?
— … Ceux sur mes bras, oui. Ceux sur mes hanches, c’est quand il a essayé de me violer. C’est pour ça que je ne voulais pas en parler avant. Qu’il fallait que je le digère d’abord.— Pourquoi ?
— …— Tu peux me faire confiance.
— Parce que ma sœur est décédée après s’être fait violer alors qu’elle rentrait du cinéma. Et que c’est un sujet dont j’ai du mal à parler.— D’accord. Tu sais où me trouver si tu changes d’avis. Voudrais-tu développer ou me dire autre chose ?
— Non.×××
Appel téléphonique de R. MILLER à E. ZAHNNA, ligne sécurisée
26 mars 2008 à 14h35— Elizabeth Zahnna à l’appareil.
— Salut Eliz, c’est Raph.— Raph ! Comment vas-tu ?
— Je vais très bien et toi ?— Oh, l’habituel tu sais. Tout est tranquille à la base depuis que tu es partie tu sais ! Aucune des recrues n’est aussi intense que toi !
— Ça ne va pas durer, profite, car tu finiras par trouver quelqu’un de pire que moi. Écoute, je t’appelle rapidement pour t’annoncer une nouvelle. Je voulais le faire moi-même avant que tu ne l’apprennes par quelqu’un de plus haut placé.— Oui ?
— J’ai été promue Premier Lieutenant dans mon unité des Navy SEAL.— Félicitations ! C’est génial ! Je suis contente pour toi !
— Merci.— Il faudra qu’on fête ça.
— Bien entendu. Je devrais pouvoir passer à Seattle d’ici trois ou quatre mois, ma première mission en tant que Premier Lieutenant ne devrait pas durer une éternité et je tiens à passer voir ma mère dès que je le peu. Elle n’est plus la même depuis le décès de mon père il y a trois ans et je sens qu’elle n’en a plus pour très longtemps de son côté aussi. Niveau médical, ce n’est pas terrible récemment et je m’inquiète.— Si tu le souhaites, je pourrai passer lui rendre visite, cela pourrait lui faire plaisir.
— Ce serait génial, merci. Je dois y aller, le devoir m’appelle. À bientôt !— Fait attention à toi, à bientôt.
— … bip bip bip…— Je n’arrive pas à croire qu’on ai gardé un si bon contact après tout ce temps…
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Visite personnelle du DR. E. ZAHNNA à PR-LT. R. MILLER
29 avril 2011, au Naval Medical Center, Portsmouth, Virginie, USA— Raph ? Tu m’entends ?
— …ouais.— Comment te sens-tu ?
— Comme si un camion m’était passé dessus…— Non, n’essaie même pas de te relever ! Tu viens de passer trois semaines en soins intenses !
— Où suis-je ?— Naval Medical Center, Virginie.
— Ils m’ont rapatriée… et les autres ? Mon unité ?— Jensen est le seul à ne pas s’en être sorti. Les autres vont bien… hey, écoute-moi, les autres vont bien. Tu leurs a sauvé la vie, Raph.
— Mais pas à Jensen.— Tu n’aurais rien pu faire face à une grenade, Raph.
— …Les autres ? Leurs blessures ?— C’est léger, quelques brûlures par-ci, des coupures par là. Le plus extrême, c’est un cas d’éclats d’obus dans le genou. Marco. Il est sorti du bloc il y a plus de deux semaines et a commencé la réhabilitation.
— C’est bien… hey, dis-moi Eliz… je n’arrive pas à bien voir avec tous ces bandages sur ma gueule, mais… putain ce que j’ai mal au bras… et à la jambe… c’est grave ?— Raph…
— Dis-moi.— Je…
— Ça fait douze ans que je suis dans l’armée, des blessures, j’en ai vues. Je te rappelle que j’ai vu un collègue se faire éventrer sous mes yeux.— Tu t’es pris une grenade. Tu as eu le réflexe de te mettre à couvert, mais c’était déjà trop tard. Tout ton côté gauche a pris le plus gros de l’impact. C’est un miracle que tu sois encore en vie. Tu as subit d’importantes brûlures sur le côté gauche, à savoir épaule, hanche et même légèrement le visage. Oui, tu as perdu des cheveux.
— Ne pleure pas, je t’en prie…— Mais ton bras et ta jambe… ils ne sont plus là, Raph…
— Jusqu’où ? Qu’est-ce qu’il me reste ? Il doit bien me rester quelque chose pour que ça fasse un tel mal de chien…— Les médecins n’ont pas réussi à sauver ton genou, donc la coupe s’est faite à mi-cuisse… et pour le bras, ils attendent de voir comment ton coude va guérir, mais il y a de fortes chances qu’ils doivent l’amputer quand même.
— Merde, je suis gauchère, Eliz…— Ça va aller, Raph. Tu as fait un parcours exemplaire. Le Major tient à te récompenser personnellement lorsque tu sortiras de l’hôpital dans quelques mois. Cérémonie en uniforme et tout. Hey, ne te renfrogne pas !
— Tu parles ! Ça me fait une belle jambe tiens ! Parfait comme jeu de mots ! Ce ne sont pas ses médailles qui vont me redonner mes membres. Et j’aurai l’air bien fine dans mon fauteuil roulant moi…— Les prothèses ça existe. Et pour un officier de ton grade, tu pourras bénéficier du dernier cri, le Major me l’a assuré. Je sais que cela te semble dur et que l’avenir sera très difficile Raph, mais ta vie n’est pas encore finie.
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Appel téléphonique d’E. ZAHNNA à R. MILLER, ligne personnelle
7 août 2014 à 10h06— Miller j’écoute.— Hey Raph !
— Eliz ! Enfin !— Oui, désolée, j’étais complètement prise par le boulot, je ne pouvais pas appeler avant. Comment te sens-tu ? Les prothèses ça va ?
— Tu sais que ça fait quand même deux ans que je les ai maintenant ?— Oui, mais tu sais aussi que je m’inquiéterai toujours pour toi et tes pauvres miches.
— Ça va, je m’y fais de plus en plus. Niveau mobilité, c’est tout bon, mais niveau douleur c’est encore loin d’être ça. Mais je sais que ça risque de toujours faire mal. En températures extrêmes c’est particulièrement délicat, comme ce mois-ci il faisait chaud, je souffre tout particulièrement.— Tu veux que je passe te voir ? Je peux prendre des congés dans une semaine…
— Non, te déplace pas uniquement pour moi, ça te fait un sacré bout de chemin entre Seattle et New York.— D’accord, mais on se voit toujours pour Thanksgiving ?
— Oui, sauf si mes prothèses gèlent et que je dois de nouveau passer tout le mois de décembre à l’hôpital.— Thanksgiving c’est en novembre…
— Sémantiques… bref.— Tu profites bien de ta retraite sinon ?
— Oh écoute oui. J’ai décidé d’aller botter les fesses des criminels vêtue d’un super costume rouge de justicière.— Non, mais plus sérieusement.
— Je me fais chier comme un rat mort. Mais je t’attendrais en novembre.— Tu sais que tu peux t’inscrire à des clubs ? Écrire un livre ? Reprendre une activité sportive ?
— J’y penserais. Allez, je ne te retiens pas plus longtemps, va retrouver tes patients. On se rappelle bientôt.— Pas de soucis. Et tu m’appelles si tu as besoin de quoi que ce soit.
— Oui.— À bientôt…
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Ah, Eliz. Tu n'as pas idée de ce que je fais à mes heures perdues depuis que j'ai emménagée à New York. Je ne pouvais tout simplement pas rester assise à ne rien faire de mes journées et tu sais que le sport ne m'a jamais intéressée. Il me faut de l'action, du mouvement, de l'adrénaline. Et il y a tellement de bordel à NY que je ne suis pas la seule justicière du coin. Donc oui, je me fais appeler Redwolf dans ces cas-là et je porte un costume rouge avec un masque de loup. Je cache mes prothèses en général, mais si mon gant ou ma chaussure tombent durant une rixe, ce n'est pas grave. Ça fait toujours son petit effet quand mon adversaire se rend compte que mon poing est fait de métal et qu'il va lui faire donc beaucoup plus mal dans sa petite face que si j'avais une main normale.
À part ça, je vais bien. Ces petites activités sont ma façon de guérir, d'accepter ce qui m'est arrivé il y a quatre ans et l'année de souffrance avant les prothèses (et toute la souffrance qui a suivit). Mais tout ça, malheureusement, je ne pense pas que je pourrais te le dire un jour. Tu t'inquièterais trop.
Raph