Allongé sur le ventre, au bord du toit de l’immeuble, il avait retiré ses lunettes de protection pour pouvoir mieux voir à travers celle de son fusil, posé sur son trépied. Juste à côté de l’arme, scotché au rebord du toit, il y avait la photo d’un homme. Une cinquantaine d’année, grisonnant et souriant. Il avait posé pour cette photo, dans ce qui semblait être un costume d’après ce quil pouvait en voir, la photo se terminant à hauteur des épaules.
Le même homme se trouvait en face de lui, à une 100aine de mètre, légèrement en contrebas. Cela faisait une heure que le Soldat l’observait à travers les immenses baies vitrées de l’immeuble face à lui, attendant le moment propice.
Il ignorait totalement qui il était. Il ignorait son nom, sa fonction, les raisons pour lesquels ses supérieurs lui avaient donnés l’ordre de l’abattre. Il ne connaissait de lui que son visage souriant sur la photo et, à force de l’observer, deux ou trois détails de plus sans vraiment d’importance. Il arpentait les pièces en enfilades avec l’assurance typique de celui ayant un poste important. Souriait en parlant aux employés qui grouillaient dans les locaux. Il semblait également avoir le béguin pour la réceptionniste qu’il était allé voir 4 fois en une heure, s’attardant toujours un petit moment, souriant en la voyant glousser alors qu’ils flirtaient effrontément.
Sentant son bras qui commençait à s’ankyloser, il bougea légèrement pour faire revenir la circulation. Il avait chaud, ainsi allongé sur le béton en plein soleil mais il ne bougeait pas pour autant, attendant d’avoir enfin une fenêtre de tir. Chose difficile. Dans les locaux, la plupart des employés, tous en chemises et cravates ou jupes tailleurs, avaient leurs bureaux près des vitres. Le seul endroit où il était sûr de pouvoir toucher sa cible du premier coup, c’était le bureau. Or, sa cible ne semblait pas vraiment pressée de s’y rendre.
Sans même s’en rendre compte, très doucement, de manière à peine audible, le Soldat se mit à fredonner un petit air digne des comédies de propagandes des années 40. Un petit truc entrainant du genre à vous tourner en tête durant des jours quand on l’entendait. Sa concentration commençait à légèrement faiblir. De manière à peine perceptible. Le fredonnement inconscient, son regard se perdant une fois de plus sur l’enseigne au bas de l’immeuble portant le nom d’une entreprise boursière.
Il s’était équipé durant la nuit, avait reçu ses ordres au matin. À présent, un coup d’œil à l’horloge dans le bâtiment face à lui lui indiquait qu’il était presque midi. Il y avait d’ailleurs un regain de mouvement derrière les vitres. Les employés commençaient à quitter leurs postes. Le soldat se redressa légèrement et bougea son viseur quand il vit que sa cible quittait enfin l’open space pour retourner dans son bureau.
Le dégagement était parfait. Plus aucun risque qu’un employé se prenne par accident la balle destinée à son patron. Aussitôt, sa concentration se focalisa totalement sur sa cible. Il ne ressentait plus la chaleur, les fourmis dans son bras et fini le petit morceau musical magiquement évaporé de son esprit et déjà complètement oublié.
L’Homme passa derrière son bureau, prit son téléphone.
La première balle brisa la vitre. La cible n’eut même pas le temps de sursauter lorsque la seconde le touche en pleine tête.
Le bruit de la vitre brisée avait dû s’entendre dans l’open space. Un employé se dépêchait d’aller frapper à la porte du bureau. Le Soldat ne vit pas sa réaction en découvrant le corps étendu au sol. Il était déjà en train de se relever pour ramasser ses affaires. Le temps que les secours soient appelés, qu’ils arrivent, que les renforts soient appelés et que l’on vienne chercher le sniper sur le toit, il avait quelques minutes devant lui pour partir sans être vu.
Du moins c’était ce qu’il avait pensé. À peine remit debout, il entendit un bruit derrière lui. Immobile, il tourna juste légèrement sa tête pour jeter un coup d’œil derrière son épaule et voir qui était ce témoin gênant.
Mission simple, mes fesse oui ! La prochaine fois que je vois Coulson, il faut vraiment que je l’encastre dans le mur ! Même si je suis certaine que les ordres viennent de Fury. Hill, quant à elle, ne m’a jamais donné de missions foireuses, même si c’est vrai qu’avant, elle n’en avait pas la possibilité de par son statut trop bas et qu’au final, elle ne m’a donné qu’un total de trois missions jusque-là. Le vrai fautif, c’est Coulson. C’est lui l’agent responsable de moi et Clint, c’est sa faute. Et je ne suis pas le moins du monde désolée de foutre tout le blâme de cette mission foireuse sur son dos. Je ne perds que rarement mon sang-froid, l’un des rares, si ce n’est le seul, avantage de ce que la Chambre Rouge m’a fait subir. Mais quand une mission foire aussi lamentablement avant même d’avoir commencé, faut pas s’étonner que je m’énerve.
Et parce que l’homme que j’étais censé interroger vient soudainement de se faire buter sous mes yeux. Va interroger un cadavre, tiens. Mais je n’étais pas dans le bâtiment lui-même, pas encore. Je suis tout d’abord venue en reconnaissance, donc toute la panoplie des lunettes infra-rouges, jumelles de sniper et compagnie. De plus, l’assassin de ma cible se trouve sur le même toit que moi. Je dois reconnaître, aussi macabre que ça puisse être, qu’il a eut une bonne stratégie, ce toit est parfait pour le boulot d’un sniper. Mais cet admiration temporaire s’évapore aussi vite qu’elle est arrivée lorsque je reconnais l’assassin. Le Soldat d’Hiver. Et moi qui viens tranquillement de débarquer sur son toit dans une tenue de civile, même si toutes mes armes sont sur moi. C’est le bruit de mon sac lâché sur le sol qui attire l’attention de l’homme en face de moi que je ne connais que trop bien sans pourtant le connaître. Il est une ombre de mon passé, une ombre macabre et dangereuse qui me fera retourner dans mes cauchemars si je ne m’échappe pas vite fait de là. Moi qui ai passé des années à peaufiner mes barrières et à éloigner tout ce qui touche à la Chambre Rouge, à enterrer ces souvenirs qui me hantent au plus profond de mon subconscient. Et puis ça risque de mal se terminer, comme la dernière fois en Odessa.
Plus je le regarde et plus mes barrières semblent se fragiliser. Des bribes de souvenirs remontent le long court tumultueux de ma mémoire tellement de fois brisée et remodelée. Je revois des tutus roses, des parquets de bois, la couleur trop vive du sang frais dans la neige, la rougeur de ma peau au contact du froid glacial et ces yeux de tueur, ces yeux vides et pourtant violents. La dernière fois, je n’ai pas fait le poids contre lui, il m’a collé une balle dans la hanche. La cicatrice est toujours aussi vilaine et parfois douloureuse. Mais je ne peux pas faire de mouvements brusques pour appeler des renforts. Quand la situation tournera mal, car c’est une certitude, il faudra que je trouve le moyen de prévenir le SHIELD discrètement. Notamment avec le téléphone encodé présent dans ma poche. Car je ne peux pas reculer et simplement m’éloigner. La mission est un échec, mais j’en ai une nouvelle juste en face de moi. Cela fait des années que le SHIELD essaie de mettre le grappin sur le Soldat d’Hiver, c’est une occasion en or pour me rattraper d’Odessa. Car je sais exactement de quoi cet homme est capable.
« Давненько не виделись » je lui lance dans ma langue maternelle.
La toute première chose qu’il vit fut une civile à la chevelure flamboyante. Puis son regard se posa sur le sac, puis sur les armes. Une civile trimballant tout un arsenal sur un toit ? En moins d’une seconde, il comprit que celle qu’il avait initialement prise pour un simple témoin gênant, une complication qui serait vite réglée n’en était en réalité pas une.
Doucement, il se retourna totalement pour lui faire face, la fixant de son regard sans ciller, le reste de son visage caché par son semi-masque. Au même instant, des brides de souvenirs, des flashs, lui arrivèrent en mémoire. Une ancienne mission dont le souvenir avait été relégué quelque part dans les tréfonds de sa mémoire. Une falaise, un véhicule terriblement accidenté et cette même femme, se tenant entre et lui sa cible. Mais il y avait également autre chose. Comme un tressaillement à peine perceptible dans sa mémoire défaillante. Comme s’il y avait plus, une donnée à laquelle il n’avait aucun accès. Et comme toujours quand ce genre de choses lui arrivait – car cela lui arrivait hélas régulièrement – il se contenta d’ignorer cet espèce d’alarme silencieuse que lui envoyait son subconscient.
Pour le moment, une seule chose comptait, se débarrasser de ce témoin et fuir ce toit au plus vite. En contrebas, il entendait le bruit de la circulation mais encore aucunes sirènes. Il estima donc qu’il ne s’était pas écoulé plus de quelques secondes. En face, un employé moins paniqué que les autres devaient être en train d’appeler la police. Au même instant, à quelques kilomètres, un opérateur ou une opératrice du 911 était en train d’envoyer les données aux voitures de patrouille les plus proche tout en parlant avec son interlocuteur. Avec la circulation, et vu la manière dont la zone était quadrillée, il avait déjà estimé que la première patrouille mettrait au minimum 6 minutes pour arriver. Le temps pour lui s’évaporer dans la nature. Mais pour cela, il devait d’abord pouvoir le faire. Mais cette femme était peut-être une aubaine finalement. Elle était armée, ce n’était donc pas une simple passante. Il pourrait peut-être réussir é lui faire porter le chapeau. Il suffisait de se tirer de là en la laissant en vie et en s’arrangeant pour qu’elle-même reste coincée sur ce toit jusqu’à l’arrivée de la police.
Pourquoi est-ce qu’il ne se contentait pas simplement de la tuer ? Il n’était qu’une ombre, un mythe. Il n’avait pas besoin de faire porter le chapeau de ses actes à quelqu’un d’autres. D’ailleurs, il ne laissait jamais de témoins… Normalement. En fait, il ne l’avait fait qu’une seule fois, des années plus tôt, au bas d’une falaise Ukrainienne.
Il réfléchissait à toute vitesse à comment piéger la femme en haut de cet immeuble quand elle prit tout à coup la parole. Combien de secondes depuis ? 20 ? 30 ? Sa notion du temps avait toujours été un de ses plus gros problèmes. Mais il oublia instantanément son décompte d’avant l’arrivée de la police quand il l’entendit.
Ce ne fut pas l’usage du Russe qui le fit réagir, ni même vraiment ses propos quant à leurs retrouvailles. Non c’était… Tout autre chose. Durant une fraction de seconde, une minuscule fraction de seconde, il vit son visage. Pas là, alors qu’elle se tenait juste devant lui mais dans son esprit. Plus jeune peut-être, les cheveux plus longs peut-être aussi. Mais cela fut terriblement fugace car, déjà, le conditionnement reprenait le dessus. La seconde suivante, il dégainait l’arme à feu de poing qui était rangé dans le holster sur sa hanche, visait la jeune femme… Et faisait feu.
J’ai toujours été douée pour esquiver. C’est même l’une des premières choses que l’on apprend dans la Chambre Rouge. Car une araignée blessée, si elle ne peut pas se réfugier dans sa toile, ne survivra pas très longtemps. Car les araignées, les gens en ont souvent peur et les écrasent. C’est pourquoi il faut apprendre à fuir, à esquiver, à être souple pour faire des mouvements capable de nous sauver la vie (sinon pour se glisser dans des endroits inaccessibles aussi). Utiliser notre corps comme première et dernière arme, car au final, lorsque toutes les balles ont été tirées, lorsque la lame de l’épée est émoussée, tout ce qu’il reste, c’est le corps en lui-même. C’est la seule chose qu’on est toujours sûr d’avoir près de soi. Et ils ont fait de moi une arme, une femme fatale.
Je parviens donc à esquiver la première salve de balles, roulant sur le sol pour me mettre à l’abri derrière une immense bouche d’aération, j’embarque mon sac avec moi, le vidant pendant que mon abri se prend d’autres coups alors que le Soldat d’Hiver reste pour l’instant là où il est, se défoulant sur ce qui me protège. Je glisse mes deux flingues favoris dans les fourreaux à mes cuisses puis j’active mes Morsures de Veuve sur mes poignets, remontant même légèrement les manches pour pouvoir tirer de manière optimale. Je n’ai pas envie de tuer le Soldat d’Hiver et je n’ai certainement pas la prétention de penser que je le pourrais. Il y a une raison pour laquelle le SHIELD n’a pas réussi à mettre la main dessus jusqu’à maintenant et pourquoi je me suis faite laminée à Odesse il y a toutes ces années. Il est juste vraiment bon dans ce qu’il fait. Et aujourd’hui n’est pas une exception. Des bribes de souvenirs me reviennent, des fragments oubliés du passé, enterrés au plus profond de ma mémoire par la Chambre Rouge pour ne pas me gêner. Avec Fury et Hill, nous avons réussi à déblayer un peu le tout, mais il m’est parfois encore difficile, même après toutes ces années d’entraînement, de faire la différence entre la réalité et ce qu’ils m’ont implantés durant les lavages de cerveau.
Je ne laisse dans mon sac que des choses inutiles pour ma mission actuelle, à savoir le matériel de reconnaissance comme les jumelles. Même si je pourrais d’ailleurs m’en servir pour le distraire. Ce que je fais dès qu’il arrête de tirer : je me lève et lui balance les jumelles dessus, sans attendre de voir le résultat. Puis je tire deux fois avec mes Morsures de Veuve avant de me remettre à l'abri. De nouveau baissée derrière la bouche d’aération de près d’un mètre de haut, à moins que ce ne soit plutôt une cheminée, peu importe, je glisse toutes mes munitions supplémentaires dans mes poches et l’arrière de mon jean. Mes doigts pianotant rapidement sur mon téléphone, je compose un numéro que je connais par cœur. « Coulson, ici Romanoff. Je suis sur le toit en face du bâtiment où bossait ma cible. Oui, le businessman. » Une nouvelle salve de balle m’interrompt alors que je grimace, me taisant un instant. « Oui, je suis en train de me faire canarder, alors dépêche-toi de noter mes coordonnées et d’envoyer du renfort. Et envoie du lourd, c’est le Soldat d’Hiver qui me fait face ! Terminé ! » Je raccroche ensuite. L’appel n’a pas duré plus de trente secondes et je glisse le téléphone à l’intérieur de ma veste brune avant de la refermer. J’attends de nouveau qu’il arrête de tirer ou bien qu’il vide ses cartouches avant de me redresser, mes deux pistolets en main. Peu importe ce qui s’est passé entre nous dans le passé, je lui en veux toujours pour m’avoir fait un courant d’air dans le ventre. Et de m’empêcher de porter un bikini pour le restant de mes jours. Le regard braqué sur lui, je tire à mon tour.
La réaction rapide de la femme face à lui termina de le convaincre que ce n’était pas n’importe qui. Elle avait un solide entrainement, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute et cela ne l’étonnait pas autrement. Des espions, il en avait déjà combattu par le passé. Chaque patrie en avait dans sa poche et cela continuerait encore et toujours.
Ainsi, à ce qu’il avait pu en voir, elle n’avait pas été touchée et s’était précipitée à l’abri avec son propre arsenal. Et les secours qui devaient déjà être largement en route pour le bâtiment en face d’eux. Il ne les craignait pas autrement. La police aussi il en avait l’habitude, ils les avaient déjà confrontés et s’en était toujours sortit. Quoi d’étonnant ? Les forces de police n’étaient pas formées pour affronter ce genre de personne, le genre qu’il était, qu’elle était elle aussi. Ils n’étaient pas de simples criminels.
Et alors qu’elle s’était réfugiée derrière la bouche d’aération, il continuait de tirer contre. Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il faisait ça ? C’était absurde et même lui en avait conscience. Il n’avait qu’à contourner l’objet et aller lui loger une balle entre les deux yeux. Au lieu de cela, il continuait de tirer en sachant pertinemment qu’il ne l’atteindrait jamais tant qu’elle resterait là derrière.
Il réalisa soudainement qu’il s’était produit le même phénomène à Odessa et les souvenir de cette mission affluèrent dans son esprit embrumé. Elle se tenait entre lui et sa cible. La solution était des plus simples, il suffisait de lui tirer une balle dans la tête puis de faire de même avec sa cible principale. Et pourtant, au dernier moment, à l’instant où son doigt avait appuyé sur la gâchette, il avait abaissé son arme, visant le ventre. Un des seuls endroits du corps humain où il avait le moins de risque de toucher un organe vital, le moins de risque de la tuer. On pouvait survivre d’une balle dans le ventre si on savait quoi faire pour atténuer l’hémorragie et tous les agents secrets ou soldats connaissaient ces méthodes. Elle survivrait à une balle dans le ventre, c’était pratiquement certain et pourtant, c’était là qu’il avait visé. Une seule balle avant de tuer sa cible et de s’en aller sans achever la femme alors qu’il aurait été d’une simplicité enfantine de le faire.
A son retour, personne ne lui avait posé de questions à ce sujet quand il avait dû faire son rapport. Pourquoi l’auraient-ils fait ? Leur Soldat de l’Hiver était leur soldat le plus fiable et le plus efficace, se contentant d’obéir aux ordres sans poser la moindre question, sans émettre le moindre doute.
Mais pourquoi avait-il fait cela ? Pourquoi se contentait-il actuellement de tirer sur une cible qui était hors de portée ? La réponse était-là, toute proche et pourtant totalement inaccessible. Il ne réalisa même pas tout de suite que son chargeur était vide, une erreur monumentale de sa part, une seconde d’inattention qui pouvait lui coûter cher. Et cela ne manqua pas. La femme, elle, ne s’était pas laissé distraire et répliquait déjà à son attaque.
Jetant son arme rendu inutile, il se protégea des projectiles avec son bras biomécanique tout en se rapprochant d’un pas rapide, prêt à passer au corps à corps. Elle était excellente tireuse, ce n’était pas sur ce terrain qu’il arriverait à la battre le plus rapidement. D’autant que les secours menaçaient d’arriver d’une seconde à l’autre maintenant. Quand il fut suffisamment près, il déploya son bras mécanique à pleine force pour la frapper en plein visage, sans le moindre ménagement. Et cette fois-ci, il ne comptait plus se laisser distraire. La preuve, le coup à peine porté, il armait déjà son poing gauche pour frapper une seconde fois.
J’ai toujours préféré les combats au corps-à-corps. Ce qui est tout le contraire de Clint. Sur ce point, nous sommes aussi différents que le jour et la nuit. Lui passe ses missions dans un point élevé, à attendre durant des heures le bon moment pour tirer, une seule et unique fois, et ne jamais rater sa cible. Tandis que pour moi, c’est plutôt l’action directe, entrer dans le tas, mais en finesse, car je ne suis pas juste n’importe quelle brute sans cervelle. Mais je frappe et je frappe fort. Au cœur de l’action, après tout, mon corps est ma meilleure arme, la Chambre Rouge me l’a inculqué depuis le début. C’est pourquoi je ne suis pas plus surprise que ça, pas le moins du monde effrayée, quand il jette son arme vide et me fonce dessus. C’est comme si je l’attendais, comme si je l’anticipais. Comme si je voulais cette confrontation beaucoup trop proche. Parce que j’ai une vengeance à prendre et que cette fois-ci, il ne se cache pas derrière son arme et que je n’ai (plus) de client à protéger. Je range mes armes dans leurs fourreaux dès qu’il effectue son premier pas, ne voulant pas gâcher plus de munitions et il est hors de question que je perde mes flingues, ce sont mes préférés et les meilleurs sur le marché pour mon style de combat. En somme, j’y tiens beaucoup.
Je vois le premier coup venir, me reculant juste à temps alors que le poing froid métallique vient frôler mon nez d’un peu trop près. Je soulève d’ailleurs immédiatement mes mains pour bloquer sa deuxième attaque, mais sa force, que je n’avais pas eut l’occasion de tester de manière brutale jusque-là, me surprend et brise mes défenses. Son poing s’écrase directement dans mon nez et je sens la fracture avant de l’entendre. Envoyée en arrière sous la force de l’impact, je tombe sur plusieurs mètres, glissant sur le béton du toit, mon jean et ma veste de cuir me protégeant des brûlures les plus graves. Je me rassois en jurant dans quatre langues différentes, essayant d’empêcher le monde de tourner alors que ma vision nage un peu, sonnée par ce coup direct et violent. Je ne pense pas avoir une commotion cérébrale, mais mon nez est définitivement cassé. Je le replace d’un geste sec, criant brièvement sous la douleur, ignorant le sang maculant mes mains et coulant dans mon cou. J’essaie de le prendre ensuite par surprise, me levant rapidement et courant dans sa direction, poings en avant, prêts à frapper. Mais au lieu de le toucher, je grimpe sur son genou sur lequel il prend appui et me faufile dans son dos, mes cuisses s’enroulant autour de sa nuque, réalisant ainsi mon mouvement signature. Bien entendu, vu sa force, il pourrait m’éjecter assez facilement, surtout qu’il me faudrait quelques secondes de plus pour bien placer mes jambes comme il faut et les bloquer ensemble pour être bien accrochée, mais ce sont quelques secondes que je pourrais ne pas avoir. Tout va dépendre de si j’ai réussi à le surprendre ou non. Ce n’est peut-être pas notre premier face-à-face, mais c’est la première fois que nous nous affrontons en combat singulier et que je fais ce mouvement sur lui.
Corps à corps ou à distance, cela ne faisait pas grande différence pour lui qui avait été entrainé jusqu’à l’épuisement aux deux. On attendait de lui qu’il soit optimal dans toutes les situations, quoi qu’il arrive, peu importe comment. Il n’avait donc pas à proprement parlé de point fort à part sa réactivité. Dans son esprit, les choses étaient claires, c’était tuer ou être tué ! Les entrainements ne l’avaient d’ailleurs pas épargné et il y avait fort à parier que ses instructeurs n’auraient pas hésité à le descendre s’ils l’avaient jugé incapable de tenir le rythme. Son bras le rendait unique pour le moment mais l’arracher et le regreffer devait être faisable. Quant au dopant qu’on lui avait injecté par la suite, il n’était pas le seul à en avoir eu des injections. Ça, même son esprit complètement dans le brouillard était capable de le comprendre.
Le premier coup rata son but et le poing métallique du soldat s’enfonça dans la paroi de la climatisation dans un bruit de tôle froissées. Il en fallait plus que le faire hésiter et le second coup atteignit sa cible cette fois-ci. Il ne sentit pas le cartilage du nez céder sous le coup. Evidemment, il n’avait aucune sensation dans son bras bionique mais le bruit du craquement ne lui échappa pas en revanche.
Il était sur le point de saisir une autre de ses armes alors que la femme tombait au sol quand un bruit attira son attention. Au loin, le bruit des sirènes commençait à se faire entendre à présent. Le temps pressait, il devait partir de ce toit au plus vite ou alors il devrait affronter toute une brigade de police. Cela ne lui faisait pas peur – en il n’était pas capable de ressentir la peur pour l’instant – mais il avait eu pour instruction d’être discret. Mais la femme en profita pour revenir à la charge.
Le soldat s’était attendu à une attaque directe et fut pris de cours quand elle se retrouva sur ses épaules, il n’avait rien eu le temps de voir venir. Et surtout, il n’avait pas eu du coup le réflexe de l’en empêcher. Et voilà donc qu’il se retrouvait avec la jeune femme perchée sur lui.
La question n’était plus de savoir quoi en faire. Il devait de débarrasser d’elle d’une manière ou d’une autre et partir de ce toit alors que les sirènes ne semblaient plus qu’à une rue. Sauf qu’elle s’agrippait bien et il le sentait mal le coup des jambes qui commençaient à prendre prise. Il en conclut très vite qu’il n’arriverait pas à la détacher dans le sens premier du terme. Il opta alors pour une autre solution.
Avisant un mur de pierre, il se dirigea dans cette direction et fit volte-face au dernier moment pour venir le percuter violemment de dos, espérant que le choc ferait lâcher prise à la contorsionniste. Bien que logiquement le dos de la femme soit le premier à avoir percuter le mur, le sien suivit juste après et le choc manqua de peu de lui couper le souffle. Heureusement, l’arrière de son crâne, à lui, était protégé par le corps de son assaillante.
Voilà ce que Clint aurait dit dans cette situation avant de faire sa tête je n’arrive pas à croire qu’une merde pareille est en train de m’arriver/pourquoi moi/mais qu’est-ce que j’ai fait qu’il a d’ailleurs perfectionnée au cours des années durant lesquelles nous avons travaillés ensemble. Et, bien que Clint ait raison de se dire que la situation vient de prendre une tournure désavantageuse, je ne peux pas dire que je ne m’y attendais pas. Cette technique d’étranglement avec les cuisses qui est devenu mon mouvement signature depuis toutes ces années est quelque chose que j’ai pratiqué jusqu’à l’épuisement, quelque chose qui a fait ma renommée, quelque chose qui m’a sauvé la vie. Et donc par extension, quelque chose dont je connais aussi les faiblesses. Je ne suis donc pas étonnée de le voir foncer vers ce pan de mur et de se retourner au dernier moment histoire que je me prenne la majorité de l’impact. Je sens mon dos hurler, ma veste de cuir limitant la friction, mais ne faisant rien pour amortir le choc qui envoie des vagues de douleur jusque dans ma mâchoire alors que je sers les dents pour ne pas hurler. Mes bras lâchent sous le coup, mes jambes se desserrant, mais finissant par tomber toutes seules vu que plus rien ne les retient.
Tandis que je tombe sur le sol telle une poupée de chiffon, allongée au pied du mur sans pouvoir faire quelque chose d’autre que grogner de douleur et maudire mon adversaire, mon cerveau lui est passé en mode survie et analyse déjà les dégâts occasionnés. Lésions au niveau de la colonne vertébrale, hématomes immenses sur l’intégralité du dos avec potentielles brûlures, au moins la moitié des côtes cassées, la force du Soldat d’Hiver n’est pas une blague et vu la douleur aigüe qui monte de mon épaule droite, j’ai aussi du me fracturer l’omoplate. Sans parler du fait que je peine à reprendre ma respiration, mon souffle ayant été complètement coupé, priant juste pour que mes poumons ne soient pas trop endommagés et surtout percés par les côtes cassées. Les pneumothorax et hémothorax sont les pires à guérir. J’essaie de forcer mon corps à se redresser, lui ordonnant d’agir, de ne pas rester allongée là comme une marionnette à qui on aurait coupé les fils. Car immobilité signifie mort certaine dans le domaine dans lesquels nous travaillons. Pourtant, mon cerveau n’arrive pas à faire obéir mon corps. Le mur étant suffisamment petit pour que ma tête soit épargnée, mais la douleur semble complètement court-circuiter tout mon système nerveux, me permettant uniquement de m’appuyer sur mes coudes pour ne pas être allongée à plat sur le sol. Grognant et grimaçant de plus en plus, inspirant difficilement par la bouche à cause d’un certain nez cassé-replacé, je parviens, après de trop longues secondes, à activer mes Morsures de Veuve et à viser mon adversaire. Je sais que je ne vais pas gagner ce combat, mais si je peux au moins l’handicaper voir même l’emmener avec moi aux Enfers, je n’hésiterais pas une seule fois.
La femme venait de s’écrouler au sol et il n’eut que le réflexe de s’éloigner de quelques pas en faisant demi-tour pour lui faire face. Même si elle avait amorti le plus gros de l’impact, il en avait aussi ressenti des répercussions. Mais dans son cas, le plus important des problèmes ne se situait pas au niveau physique. Les chocs répétés, le soleil qu’il avait enduré des heures durant et ces flashbacks incessants de la jeune femme avec la sensation qu’il lui manquait un élément crucial commençait à avoir raison de son conditionnement qui, comme tout, avait ses limites. Et tout cela lui donnait l’impression qu’il était sur le point d’exploser. Il chancela un peu en reculant encore de quelques pas pour rester hors de sa portée directe mais elle ne semblait pas en mesure de se relever.
En bas, les sirènes hurlaient comme jamais. Ils étaient arrivés à l’immeuble. Ce n’était plus qu’une question de courtes minutes pour qu’ils montent sur ce toit pour découvrir des indices sur l’origine du coup de feu. Et pour le coup, ils toucheraient le jackpot s’il ne réagissait pas tout de suite.
Se reprenant, le Soldat sortit une nouvelle arme de l’arsenal que comportait son équipement et la pointa sur la femme à terre. Il allait faire feu, il devait faire feu. Ne jamais laisser de témoins. Il avait déjà commis cette erreur par le passé, il lui avait déjà laissé la vie sauve, il ne devait pas recommencer. Mais le sang ne cessait de taper de manière sourde dans ses oreilles, lui brouillant la vue par moment. Il poussa un grognement étouffé, ferma les yeux, se frotta le visage et secoua la tête avant de reporter son attention sur elle. C’était comme si une voix hurlait dans sa tête à présent mais il ne comprenait pas ce qu’elle disait. Il visa à nouveau. Elle était proche, à peine à 1m50, immobile au sol, une cible tellement facile que même un débutant ne pourrait la rater. Son doigt se positionnait sur la gâchette…
Et soudain un mot, un seul, surgit dans son esprit totalement embrouillé. Un prénom qui se forma au même moment sur ses lèvres sans qu’il en aille véritablement conscience.
Natalia…
Il l’avait lâché dans un souffle. Un prénom, rien de plus. Et il resta figé un court instant face à elle, la regardant avec des yeux écarquillés alors que son bras retombait le long de son corps. Mais au même moment, une déflagration se fit entendre. La porte menant à l’escalier montant au toit venait d’être explosée, certainement au C4. S’il en avait eu la possibilité, le Soldat en aurait rit. La porte n’était pas verrouillée, c’était bien typique des forces armées de tout vouloir faire exploser sans réfléchir.
Mais la détonation l’avait fait revenir à lui, à celui qu’il devait être, qu’on attendait qu’il soit. Il n’avait plus le moindre temps à perdre alors tant pis. La découverte de la femme leur ferait perdre du temps, bien assez de temps. Alors, sans réfléchir, il fit volte-face, prit de la vitesse et dans un bond impressionnant, sauta jusqu’au toit voisin, se trouvant à quelques mètres en contre-bas, abandonnant la femme à son sort.
Ainsi, il se souvient. Dans un éclair de récognition, il prononce mon prénom. Je ne sais jusqu’où remontent ses souvenirs, s’il se souvient des séances d’entraînement, des jeux, des activités plus interdites, surtout à l’époque et pour qui nous travaillons, mais ça a l’air suffisant pour le perturber. Et je ne peux pas lui tirer dessus, pas quand je le vois aussi perdu et confus, même si mes instincts me hurlent de profiter de la situation et d’en finir. De toute manière, il a gagné, je ne suis pas incapable de le battre alors à quoi bon essayer ? Mais les autorités semblent avoir enfin retrouvé notre piste, sauf que je me rends rapidement compte que ce ne sont pas des agents du SHIELD qui viennent de débarquer sur ce toit, mais les autorités locales. Merde.
Hors de question que je fasse tracer cette histoire au SHIELD alors que j’ai déjà perdu le Soldat d’Hiver. Deux erreurs dans la même journée… sans parler du fait que j’ai failli et que je risque encore d’y laisser la peau… Mais le Soldat d’Hiver a visiblement d’autres chats à fouetter, car il s’enfuit en courant et je ne lui en veux pas. Je l’aurais suivi si je le pouvais physiquement, mais je tiens à peine sur mes jambes. « Увидимся, Джеймс. » Je lance à sa silhouette qui disparait sur le toit voisin. Il est aussi temps pour moi de partir, même si ce sera plus difficile que pour lui. Retenant une vague de nausée et ignorant la douleur qui explose dans tout mon corps, je parviens à me rapprocher suffisamment du bord du toit pour me laisser tomber sur l’escalier de secours. Qui est tout de même beaucoup trop haut et je grimace en sentant mes genoux plier et mes côtes brûler sous le choc. Il ne me faut que quelques secondes pour crocheter la fenêtre de l’appartement qui donne sur l’escalier. Dix longues minutes plus tard, alors que l’équipe envoyée continue de chercher le bâtiment, je sors dans la rue, me tenant les côtes tout en essayant de paraître la plus naturelle du monde possible. Un taxi m’emmène quelques blocs de rues plus loin, suffisamment loin pour que les bruits des sirènes de police ne se fassent plus entendre. Un coup de fil à Coulson plus tard et c’est l’équipe du SHIELD, les fameux renforts que j’avais demandé, qui me récupèrent en chemin, me ramenant à la base où une équipe médicale est déjà prête. L’agent Killian à mes côtés essaie de me rassurer. « L’équipe médicale est très professionnelle, vous savez… » Appuyée contre la fenêtre teintée du SUV, je ne peux m’empêcher d’être désagréable alors qu’un pack de glace est inutilement plaqué contre mes côtes. « La ferme, Killian. Je déteste les hôpitaux et l’aile médicale du SHIELD n’est pas mieux. » Lorsqu’il continue, je lui fais amèrement remarquer qu’il n’est dans le SHIELD que depuis un an et qu’il ferait mieux de ne pas continuer à me faire chier plus longtemps s’il ne tient pas à ce que j’encastre sa tête dans la vitre. Même le chauffeur, un agent qui est dans le SHIELD depuis presque aussi longtemps que moi, déglutit timidement comme s’il se sentait menacé. Ma réputation me rattrape, tant mieux.
Et lorsque je vois enfin Coulson quelques heures plus tard alors que je suis enfin libre de quitter l’aile médicale si je promets de rester sagement dans un lit pendant deux semaines (et j’ai négocié, avant c’était un mois), je lui dis simplement : « La prochaine mission concernant le Soldat d’Hiver, je la prends. » Mon ton sans appel et mon regard glacial, mais vide, fait soupirer Coulson. Et si lui ne me donne pas cette mission, car il pourrait penser que nos passés respectifs pourraient me compromettre, je sais que Hill me la donnera.