Emma avait beau se débattre comme une furie, ses assaillants, bien plus nombreux, la maintenaient avec force et tout en riant aux éclats, ils ne cessaient de répéter qu’ils se demandaient si cette fille si bizarre détestait l’eau comme les chats. La mutante n’avait jamais vu ces types de sa vie, elle était juste passée au mauvais endroit au mauvais moment, rien de plus. Mais cela semblait être le refrain récurrent de son existence, Wrong place, Wrong time.
Se trouvant non loin de l’Upper Bay, ils ne mirent que quelques courtes minutes à atteindre la baie et ni une ni deux, ils balancèrent la jeune fille à l’eau tout en s’esclaffant pendant que l’un d’eux filmait la scène. Emma n’avait rien contre les douches et les bains. En prenant un peu sur elle, elle acceptait même d’entrer dans les piscines tant qu’elle pouvait toucher le fond. Mais là, c’était trop pour elle et son côté félin prit le dessus, la faisant réellement paniquer alors qu’elle se débattait furieusement pour tenter de regagner la terre ferme tout en faisant son possible pour ne pas couler car bien évidemment, avec sa peur des grandes étendues d’eau, la natation n’était pas exactement son point fort. Hilares, les garçons, une poignée d’étudiants d’environ 18-19 ans guère plus, ne cessaient de filmer en fêtant leur réussite alors que la jeune fille ressortait de l’eau avec exactement le même air épouvanté que pouvait avoir un chaton balancé dans un lac.
Trempée, frigorifiée, furieuse mais surtout blessée dans son égo, Emma se tourna vers eux en poussant un rugissement tel que le silence se fit soudainement durant un instant. Un court instant car presque aussitôt, l’un des types déclara qu’ils n’allaient pas se laisser emmerder par une saloperie de mutante. Et leurs mines hilares et joueuses se changèrent en haine féroce alors qu’ils s’approchaient à nouveau d’elle. Manque de chance, cette fois-ci Nova ne semblait pas dans les parages pour la tirer du pétrin et ne voulant pas prendre le risque d’une confrontation, Emma retomba à quatre pattes et s’éloigna à toute allure en direction de Brooklyn.
Mais le passage d’une chose rugissante et slalomant avec rapidité et agilité à quatre pattes parmi les passants ne fut pas pour plaire à tout le monde et alors que ses agresseurs avaient abandonné la partie, se fut 2 flics qui prirent la relève pour stopper cette créature qui créait malgré elle la panique sur son passage. En temps normal, Emma se serait peut-être arrêtée pour leur expliquer la situation mais il y avait un petit problème. Si son passeport Suisse était toujours valide, son visa de touriste pour le territoire américain, lui, ne l’était plus ! Se faire arrêter par la police signifiait donc désormais pour elle une place dans le prochain vol pour Zurich ! C’est pourquoi elle accéléra sa course dans le but de les semer. Arrivé dans une ruelle, elle se retrouva face à un mur de près de 3 mètres de haut. Peu lui importait, un premier bond félin lui permit de grimper sur un balcon à droite et un second à passer le mur comme de rien alors que les deux agents de l’ordre se retrouvaient obligés de faire le tour.
Emma profita de cette avance pour chercher un endroit où se cacher et quand son regard croisa une étrange vitrine, elle ne prit pas la peine de réfléchir plus loin et poussa la porte avant de filer se mettre accroupit dans un coin à l’ombre. D’où elle était, elle avait une vue à peu près dégagée sur la vitrine et sur les deux flics qui apparaissaient déjà dans la rue, regardant en tous sens pour la retrouver tandis qu’elle se terrait du mieux possible dans l’ombre. Elle réalisa alors qu’en tournant légèrement la tête, elle avait également la vue sur une silhouette se tenant non loin devant elle, elle aussi à l’intérieur de la boutique, et Emma ne put qu’espérer que cette personne ne la dénoncerait pas.
Voyant en cette femme son dernier espoir d’échapper aux deux flics, Emma lui adressa alors un regard suppliant parfaitement digne du Chat Potté.
La journée n’avait pas vraiment été fructueuse aujourd’hui : peu de clients en vue. Shanoé avait eu deux consultations ce matin, dont une nécessitant de la fumée. Résultat ? La boutique puait littéralement le cramé. Pas cool lorsque l’on vend des encens et autres parfums de rituels, n’est-ce pas ? La jeune femme essayait toujours milles-et-une façon de faire échapper la fumée différemment lorsqu’elle devait utiliser cette manière de lire l’avenir mais rien n’y faisait : l’odeur persistait encore et toujours.
« Ca. Pue. Bordel. » marmonna-t-elle, encore une fois. Dépitée, elle se dirigea vers ses pierres et entreprit de faire le pointage, un thé à la main. Étrangement, ses clients étaient de plus en plus intéressés à la lithothérapie et aux élixirs qui en découlaient. Résultat ? Elle devait sans cesse recommander au moins 25 pierres différentes chaque soir. Un beau record pour un petit commerce ! Puis, vu qu’actuellement sa boutique était aussi vide qu’une bourse de SDF, autant en profiter pour faire quelque chose de lucratif. Le Quartz rose manque encore… Purée, tout le monde est en manque d’affection en ce moment ou quoi ? Hm, j’ai encore de la Jaspe rouge… Ouais. Plus de chrysocolle, comme de par hasard. La brune posa donc sa tasse et se dépêcha de prendre un carnet et un stylo, puis nota le nom des pierres qui manquaient. Boring. Mais il fallait bien le faire de toute façon. Et si je fermais plus tôt aujourd’hui ? Je pourrai faire un peu de ménage, l’inventaire, me tirer quelques cartes… Ah.
Décidée à être productive (sort of), Shanoé ouvrit un de ses tiroirs. Le gauche cachait tous ses jeux de tarots : elle en avait tellement ! Et ses amis ne cessaient de lui en offrir, sans parler de sa famille qui lui en avait légué une blinde. Lucky me. La tatouée attrapa le premier que sa mère lui avait offert, elle ne l’utilisait que pour son utilisation personnelle. Jamais aucun de ses clients n’avaient eu le loisir de profiter d’une consultation avec ce jeu-là.
Doucement, la jeune femme récupéra sa tasse de thé et s’assit sur un des coussins présents autour de la petite table qu’elle utilisait généralement pour mettre ses clients à l’aise. Elle battit ensuite ses cartes, laissant ses pensées virevolter vers la fenêtre. Que demander ? Comment cette journée va-t-elle finir ? Voilà qui n’était pas trop mal. Prenant une grande inspiration, Shanoé se concentra donc sur sa question, décidant de ne tirer qu’une seule carte. Généralement, pour ce qui concernait un sentiment journalier, il ne fallait pas se casser la tête à faire un tirage en croix. Sans attendre plus longtemps, elle étala son jeu et tira une carte : la Maison Dieu.
Sceptique, la brune haussa un sourcil. Si on se fiait à ses intuitions, cette carte désignait une rencontre inattendue, voir un évènement bouleversant. Quelque chose que l’on n’attendait pas quoi. Seriously ? Avec cette journée ? Haussant les épaules, en plus du sourcil, elle se leva rapidement pour ranger son jeu.
Soudain, un fracas se fit entendre. La porte s’ouvrit avec un bruit assourdissant et avant même que Shanoé n’eût le temps de balancer un « what the fuck » strident, une silhouette féminine et… Féline ? Débarqua dans la boutique. Interloquée, la voyante resta debout, la bouche légèrement entrouverte. La jeune fille (qui semblait complètement apeurée) s’aperçut de sa présence et lui offrit un des regards les plus implorants jamais vu. Un regard… De chaton. C’était clairement l’appellation que l’on pouvait utiliser. « Tu… » la tatouée se tût. Ses yeux remarquèrent la différence physique que cette fille portait sur elle. Des pupilles différentes, une posture plus sauvage, animale…
Oh. Soit cette personne était une mutante, soit elle était sacrément douée en tant qu’actrice, c’était certain. Pour autant, Shanoé était persuadé que c’était la première option.
Voyant les regards incessant que la nouvelle venue jetait à la fenêtre, la tatouée s’approcha de celle-ci. Deux policiers cherchaient activement quelque chose dans la rue, rue qui semblait somme toute assez tranquille. Il ne fallut pas longtemps à la brune pour deviner quel était le fuck. Rapidement, elle s’agenouilla auprès de l’adolescente (était-elle seulement ado ? On pouvait se le demander.) et chuchota rapidement « J’ai jamais aimé les flics. Lève-toi, on va aller dans l’arrière-boutique. S’ils se décident à faire une fouille, vaut mieux pas qu’ils voient un petit chaton posé juste à côté de mes antidotes, hein ? » avec douceur, elle lui désigna son bras sans cesser de sourire. Shanoé ne connaissait absolument pas la jeune fille, mais il était probablement préférable de ne pas la brusquer. Et si elle avait tué quelqu’un ? Bon, pas de sang sur ses vêtements. Puis quand bien même, pour l’instant, la féline n’avait pas tenté de l’attaquer, c’était une bonne chose.
Puis… Elle n’aimait vraiment pas les flics.
« Voilà, doucement… Bordel mais t’es… Frigorifiée ! Trempée ! Pu… Mais il t’est arrivé quoi ? » s’exclama la chaman tout en écarquilla les yeux. «Viens, suis-moi. Je vais te faire un thé. Tu aimes le thé ? Un chocolat chaud ? N’aie pas peur hein, j’vais pas aller les voir. N’aie pas peur. Je suis Shanoé, tu peux m’appeler Shan. Flippe pas, tu peux marcher ? Ca va ? »
Visiblement, le coup du regard suppliant avait fonctionné. Un peu trop bien visiblement réalisa Emma qui fronça des sourcils quand elle se fit traiter de petit chaton. Hey, c’était la Tigresse son nom de scène, pas Hello Kitty ! Mais elle préférait ne pas trop montrer son mécontentement. Les flics étaient justes derrière la vitrine et un seul geste de la femme en face d’elle lui assurerait une place chez la compagnie aérienne Swiss. En prime, la femme semblait encline à vouloir l’aider alors Emma préférait ne pas trop la contredire tout de suite.
Ainsi, sans dire un mot, Emma se leva pour la suivre tout en jetant des coups d’œil vers la vitrine. Par chance, les flics ne semblaient pas penser à regarder dans la boutique et se contentait de questionner quelques passant avec la tête de ceux prêts à lâcher l’affaire. Cela en avait été moins une pour elle mais il allait vraiment falloir qu’elle trouve le moyen de régler ce problème de visa au plus vite.
Resserrant ses bras autour de son sweat à capuches dégoulinant, Emma se redressa et la suivit, marchant cette fois-ci debout et non pas à quatre pattes comme à son arrivée. Elle se senti un peu mal à l’aise quand elle jeta un coup d’œil au coin qu’elle venait de quitter et où se trouvait à présent une flaque d’eau.
Désolée…, marmonna-t-elle tout en la suivant avant de reporter son regard sur celle qui se présentait et qui ne cessait de lui répéter de ne pas avoir peur ni de flipper. Emma n’avait pas peur, elle ne flippait pas. Enfin du moins pas pour l’instant mais cela n’allait certainement pas tarder à arriver oui. Mais peut-être que Shanoé, si Emma avait bien comprit son nom, tentait de surtout se rassurer elle-même ? Après tout, elle se retrouvait avec une chose qu’en partie humaine et recherchée par deux flics dans sa boutique.
J’m’appel Emma et… euh… Disons qu’on m’a fait prendre un bain de force, expliqua-t-elle en haussant des épaules, n’osant pas trop avancer dans la pièce de peur de tout détremper. Cela résumait un peu la situation, inutile de préciser que la victime qu’elle était dans l’histoire était instantanément devenu la coupable aux yeux des flics à l’instant même où ils avaient vu sa mutation, c’était devenu tellement courant que s’en était presque cliché. Wanda avait peut-être raison finalement, les humains étaient incapables de les accepter dans leur monde et n’avaient pas envie de le faire.
Je veux bien un thé, ajoutait-t-elle avec son accent un tantinet germanique alors qu’elle observait la fameuse arrière-boutique qui avait des airs de cavernes d’Ali Baba à ses yeux. Emma avait toujours été fascinée par le monde de l’ésotérisme. La vieille Diseuse de bonne aventure de la troupe était une des rares personnes qu’elle y avait vraiment appréciées.
Merci… Pour les flics, reprit-elle en posant son regard sur Shanoé alors que ses mèches trempées lui retombaient devant les yeux.