La vie est faite d 'instants ...

Casey N. Udinov & Steve Rogers

D’existences fascinantes, de personnalités hors du commun, d’opportunités que l’on saisit et d’autres que l’on laisse passer. De situations qui nous tombent dessus et que l’on gère du mieux qu’on peut ... Si l’internet m’aidait énormément à combler mes lacunes tant que je m’en tenais à de la simple recherche, j’appréciais passer mon temps à la bibliothèque. A transiter autour de tant d’ouvrages, écrits, pensés, vécus. De romans racontés par des hommes ayant traversés leur siècle et qui continuent d’exister bien après leur mort. Qui en inspirent d’autres, relatant les faits de leur époque, pour partager le monde qui était le leur, pour lui apporter signification et sens. L’histoire de l’humanité. Je m’étais pris de passion pour le roman de Laura Hillenbrand qui relate la vie de Louie Zamperini, ce grand homme, athlète olympique américain qui fut prisonnier des Japonais durant la Seconde Guerre Mondiale. Le parcours de cet homme dont le courage, la détermination et la volonté de survivre appellent à toute leçon de vie. Un personnage que j’aurais aimé connaitre. Un personnage que je respecte et qui a toute mon admiration. Mais certainement un homme qui ne court pas après les louanges, les parades et les adorations.

J’avais besoin de faire corps avec mon époque et tout ce que je n’ai pu vivre, tout ce qui l’a marqué et l’a embellit. Parce qu’il n’y a rien de beau dans le fait de faire la guerre. En ressort plus de traumatismes que de victoires. Et on a beau avoir conscience de ce que l’on gagne, il n’en reste pas moins que les pertes demeurent énormes. Pour respirer le même air, pour se trouver à cet endroit, pour connaitre le jour suivant ... De simples insignifiances qui font toute la grandeur et la petitesse de ce monde. Fragile, inconstant, insaisissable.  
En notre ère où l’existence d’autres mondes ne fait plus partie des légendes ou de divines croyances, et où même des dieux sont parmi nous, j’en recherche encore ce qui en fait toute notre spécificité.

Je déambulais dans les allées de la bibliothèque si silencieuse, me nourrissant de connaissances, de savoirs, d’états d’esprit, et de cette odeur fanée et vieillie d’ouvrages là depuis bien trop longtemps, qui à la longue, ont pris possession de ces lieux. J’en appréciais le calme mais aussi toute l’histoire qui transite dans chacun de ces couloirs. Qu’y avait-il en fin de compte de plus vivant ?

Je le disais peu mais avais mes habitudes ici. Et nullement n’avais-je à faire face à un élan d’excitation de la part d’un individu lambda qui aurait pu me reconnaître et qui m’aurais mis très mal à l’aise. A la vie civile, j’étais monsieur tout le monde. Je conservais certains archétypes dont je ne parvenais à totalement laisser derrière moi mais pouvais aisément me fondre dans la masse. Nous venions tous ici dans un but bien spécifique, et j’en appréciais l’anonymat. Le lieu était très souvent empli d’étudiants, de professeurs d’universités, de futurs avocats, comme d’anonymes passionnés de lecture, de sujets à approfondir. La bibliothèque s’étendait sur plusieurs étages et il y avait moyen d’aller et venir sans se gêner ni même se préoccuper du monde qui nous entoure. Venant dans un seul et même endroit pour s’enfermer dans notre bulle. Les coins multimédias avaient toujours le plus de succès mais je préférais les archives. Très souvent au rez-de-chaussée ou dans les niveaux inférieurs. Il y fait généralement plus frais, presque morne et peu convivial, on y croise peu de monde. L’endroit nous donnait presque l’impression de ne pas être à notre place, de n’avoir rien à y faire, d’enfreindre presque les règles ou d’en déranger le silence, mais était celui où je m’y sentais le mieux.

Casey N. Udinov & Steve Rogers

Arriverai-je à m’adapter un jour ? Telle était toujours la même question qui revenait. Tant que je n’aurais pas brisé ce lien qui me raccroche à ma vie passée, qui m’étreigne et me fait regarder le futur par-dessus mon épaule, certainement n’y parviendrais-je jamais. Mais sans ce passé qui me définit et m’accomplit, qui suis-je ? Un super-héros parmi tous les autres ? Un personnage obsolète aux paroles décousues ? Un bon soldat qui ne sait plus pour qui ni pour quoi il se bat ? Un invalide de guerre ... bien que mon corps n’ai subit aucunes séquelles, elles demeurent ailleurs ... Qu’est-ce qu’un soldat qui ne peut se réadapter à la vie loin du front ? Un danger, un électron libre, une menace ...  
Etais-je moi aussi de ceux-là ? Qui restent marqué à vie de blessures que l’on ne peut voir mais qui persistent et agonisent ... Que me fallait-il faire à présent ? Régler les petites affaires du Shield en bon chien de garde ? Je n’en savais rien ... et cette méconnaissance commençait à peser lourd. Cherchais-je encore des réponses ? Mais auprès de qui saurais-je les trouver? Aux confins de cette bibliothèque ...

Absorbé par ma lecture, je ne vis pas cette jeune femme pénétrer les lieux, visiblement peu ravie d’y être. C’est lorsqu’elle vint s’assoir à mes côtés que je sentis sa présence. Sa voix cristalline vint percer le silence de la pièce retenant mon attention. Je tourne le regard vers elle et en reconnu les traits familiers. Il fallait dire qu’il était plus évident pour moi de la reconnaître qu’elle, avec la quantité de clients qu’elle devait voir défiler à son restaurant. Il nous arrivait d’échanger quelques sourires et parfois même quelques mots, des banalités tout au plus, mais sa sympathie savait égayer mes journées. Je n’avais qu’à la regarder pour comprendre la beauté de ce monde et l’occasion qui m’avait été offerte d’en faire encore parti. En considérer le prix, je ne perdais vite dans mes calculs tant il y avait à peser. Je ne connaissais pas son nom et certainement ne connaissait-elle pas le mien, ou du moins, pas celui que tout le monde connait.

Je lui souris sincèrement pour la conforter dans son idée. Quand bien même elle ne pouvait se souvenir de tout le monde, elle semblait avoir une très bonne mémoire des visages. Ou alors étais-je encore trop atypique ...

« Bonjour ... non vous ne vous trompez pas, il m’arrive de faire escale régulièrement dans votre restaurant », lui répondis-je, amicalement. Je préférais autant que cette anecdote fasse écho en elle, plutôt qu’elle ait vu ma tête placardée dans les journaux ou dans les informations télévisées avec comme titre « Captain America décongelé » ou encore « conservé par la chaîne du froid » ou je ne sais qu’elle autre symphonie médiatique peu flatteuse.

« Vous venez souvent ici ? », lui demandais-je, sans trop paraître curieux ou déplacé à son égard, n’ayant déjà pu la rencontrer en ce lieu auparavant. Néanmoins, je doute d’avoir été capable d’aller l’aborder si tel avait été le cas.  

Casey N. Udinov & Steve Rogers

A mesure que l’on échangeait, on retrouvait notre facilité à communiquer bien qu’en ce lieu, elle n’était plus serveuse et je n’étais pas client. Il y avait donc plus d’aisance et de liberté dans nos mots. On s’adressait l’un à l’autre sans contrainte de temps, et, pour une fois, j’appréciais ce moment paisible sans qu’il ne soit question de planification ou d’emploi du temps. Depuis mon retour à la vie civile, et même à la vie tout court d’ailleurs, je dépréciais ces journées trop peu actives et ces nuits trop longues. Je savais qu’il me fallait faire mes preuves aux yeux du Shield, qui maintenait une incertitude croissante sur mon compte, ne sachant si je saurais ou non me réadapter, mais j’étais fait pour l’action. Me tenir à l’écart des grandes missions menées par le Shield dans la plus grande discrétion, ne me plaisait que peu. Mais qu’avais-je donc à faire d’autre qu’attendre qu’on veuille bien me laisser prouver que je suis encore à la hauteur de la légende qui fut la mienne il y a encore quelques décennies. Bien qu’il arrive des journées où je ne cesse d’en douter. Que cet homme-là est mort, en 45, coulé avec le vaisseau de l’Hydra. Et que je ne suis que le fantôme de cet homme.

Je souris à la description qu’elle fit de moi. Les bonnes manières, la politesse et le savoir-vivre tendent tant à disparaitre en ces jours actuels. Je tentais de le comprendre, quelle évolution avaient conduit les hommes à agir de cette manière, quel vent en était responsable, mais ne trouvait encore que peu de réponses à cela. Je ne pus que l’approuver d’un geste de la tête, compatissant et désolé. A la question que je lui pose, Casey me répond avec tout le naturel du monde, relatant le désastre de sa situation. Je fais lien entre sa punition et l’âge qu’elle semble avoir, et saisit un peu mieux la personnalité de la jeune femme. Entre détermination et éminence. Fougue et rébellion. Une jeune fille qui n’a surement pas la langue dans sa poche et ne plie l’échine que difficilement. Son tempérament me plaisait, mais il n’était certainement pas du goût du système éducatif actuel.

« Vous m’en voyez navré, on n’a pas toujours la loi de notre côté », lui répondis-je pour apaiser sa punition. J’agissais pour toujours être irréprochable, mais comme tout un chacun, il m’arrive de me planter moi aussi. Seulement, certaines de mes erreurs peuvent se chiffrer à l’échelle mondiale. Elle sort ensuite ses affaires et me renvoie la question, définitivement plus enthousiasmée par notre conversation que par le travail qu’elle a à faire.

« Cela m’arrive oui, je me sens mieux ici que dans un cybercafé », lui répondis-je en toute franchise. On s’installait à la table dans cette pièce décemment vide, et tournant mon regard vers elle, je réengage la conservation sans pour autant souhaiter la distraire.

« Votre punition s’élève à quel prix, si je peux me permettre ? », lui demandais-je, m’intéressant à sa personne et à ce qui fait sa vie. Comme un besoin de me lier aux personnes qui m’entourent, sans franchir la limite qui pourrait les mettre en danger, mais pour sentir que tout ceci est bien réel.

Casey N. Udinov & Steve Rogers

Casey semblait avoir un caractère bien trempé et un tempérament à toute épreuve. Une jeune femme qui sait ce qu’elle veut et qui ne démord pas avant d’avoir tout tenté. J’en appréciais sa détermination et le refus catégorique d’avoir à se taire pour continuer à entretenir les erreurs du système. De mon temps, les femmes n’étaient que peu considérées et certainement avais-je connu la première qui avait tapé d’un grand coup de pied dans la fourmilière, pour être respectée pour ses qualités à l’égal de tout homme. Je respectais cela, pour avoir moi aussi été déconsidéré par le passé pour mon physique en dessous de la norme. En 70 ans, les femmes avaient su s’imposer et se faire une place dans des professions d’hommes tout en étant à leur hauteur, et pourtant demeure encore des clichés que l’on ne décolle pas aussi facilement. On fait en sorte de lutter aussi fort que possible contre les injustices, mais un système inachevé s’enracine si vite qu’on n’en constate les dégâts qu’après coup.

« Ce n’est pas moi qui vous direz le contraire », lui dis-je peu étonné par sa remarque, constatant que malgré les années, certaines choses sont restées les mêmes. J’ai beau penser vivre en décalage, on n’arrête pas un monde qui tourne, tout comme on ne refait pas le genre humain. Mais il était amusant, au final, de parvenir à être tous les deux, sur la même longueur d’onde. Elle s’embarqua ensuite sur une longue explication de ce que pouvaient faire les technologies actuelles, me perdant en cours de route, lorsqu’elle se rendit compte de son manque total de retenue et s’arrêta aussitôt. Je l’approuvais d’un signe de tête, peu sûr d’avoir bien tout saisi. Tout ceci était encore nouveau pour moi, et à mesure que j’en prenais conscience, je constatais avec vertige, l’avarie inopinée de facilité et de confort dont on s’entoure, et dont on devient totalement dépendant. Une façon de vivre que l’on nous pousse à adopter ... bien que Tony Stark ne serait certainement que peu d’accord.

M’intéressant au travail qu’elle avait à faire, et qui allait l’occuper à la bibliothèque un long moment, elle me fit savoir qu’elle avait écopé de la seconde guerre mondiale en punition et qui plus est, de la matière qui la bottait le moins. Devais-je me sentir offensé, offusqué ou seulement désabusé face à ses propos ? Alors que je représentais une partie de cette histoire, qui, grâce à chacun des soldats pouvant encore en attester et de tous ceux ayant fait don de leur vie, continuaient de perdurer dans les mémoires. Un conflit auquel je ne m’étais pas préparé.

« Essayez de voir les choses positivement, Casey. Ce qui est appris n’est plus à apprendre, et puis c’est une occasion de le faire différemment qui vous permettra de mieux le comprendre et de le retenir », lui dis-je amicalement, cherchant à la soutenir de mon mieux, alors que nous nous asseyions à une grande table.

« Si ça peut vous rendre service, j’ai bien connu cette période ... enfin... (Je marque un temps d’arrêt pour rattraper la justesse de mes mots et masquer mon embarras) je m’y intéresse beaucoup, voilà, alors si je peux vous aider, n’hésitez pas », lui dis-je, dans un sourire timorée. Autant de situations auxquelles il me fallait faire face, pour prétendre un minimum à une normalité de vie.