C'est sous l'apparence d'Harvey Roover, trentenaire mal dégrossi et tremblotant, que Mystique s'était présentée à l'appartement de Liv, là où la jeune femme et son colocataire se trouvaient. Comme toujours, la métamorphe se signala en faisant transitoirement réapparaître la couleur et la forme naturelle de ses yeux, d'un très reconnaissable jaune doré. En sus, la lieutenant de Magnéto affichait son expression neutre de prédilection, un faciès lisse assez dur à imiter sans entraînement et qui, chez Harvey Roover, évoquait la mort cérébrale. Si elle avait été du genre à parler pour ne rien dire, Mystique se serait fendue d'un très laconique « C'est ce soir ».
Depuis quelques temps, le Bugle avait troqué son habituelle tribune anti-Spider-Man pour un réquisitoire quotidien contre le "Danger Mutant". Les médias généralistes, moins orientés que la feuille de chou de Jameson dans leurs articles ou reportages, n'en cessaient pas pour autant de relayer les initiatives prises outre-atlantique pour mettre en place un système permettant d'identifier avec précision les mutants dans la population. Le président Peterson s'embarrassait encore de gants pour rappeler que tous les mutants n'étaient pas des criminels, mais Raven le devinait autant que son mentor : cette nuance de propos ne perdurerait pas très longtemps. Déjà, Graydon Creed (son fils !) ourdissait de se faire élire aux prochaines présidentielles, en surfant sur les tendances anti-mutantes et l'argument sécuritaire ; ensuite, l'arlésienne Sentinelle revenait sur la table des discussions, bien que son dernier porteur s'y soit copieusement brûlé les ailes ; et enfin, il y avait tous les groupuscules extrémistes dont on passait volontiers sous silence les actions. « Haut-Conseil de l'Humanité », « X-Terminateurs »et autres « Purificateurs », déterminés à passer par-dessus les lois pour agir avant que le problème mutant ne devienne inarrêtable... Tous des adeptes des armes à feu et des opérations coup-de-poing pour rappeler qui, de l'homme ou du mutant, occupait la position dominante dans la société.
L'urgence, cependant, demeurait pour la Confrérie d'entretenir l'animosité générale qui lui prêtait le flanc. Pour qui voulait voir un conflit ouvert s'installer entre Homo sapiens et Homo superior, le mieux à faire consistait à toujours jeter de l'huile sur le feu. Tenait donc à l'agent favorite de Magnéto de donner raison aux radicaux convaincus que les mutants constituaient un ensemble de criminels. Kaï étant un peu trop imprévisible pour une opération nocturne (et ses étincelles étant particulièrement repérables dans l'obscurité), la métamorphe s'était décidée à emmener avec elle l'inséparable duo Raven/Belphégor. Eut été besoin d'une raison supplémentaire, la moitié sombre de la criminologue Suédoise exigeait d'être libérée à intervalles réguliers, pour ne pas devenir intenable. Quitte à laisser la gothique assouvir sa soif de violence et de sang, pourquoi ne pas au passage l'emmener éliminer toute résistance, dans un complexe gardé et surveillé ? Les deux jeunes recrues avaient été averties au préalable : une mission de terrain sous la tutelle de Mystique s'annonçait, pour eux. De l'infiltration, en condition nocturne. Les deux mutants disposant de pouvoirs capables de tuer sans trop de tapage, ils s'occuperaient d'abattre le gros de l'opposition, tandis que leur supérieure remplirait un objectif plus subtil... Qu'elle avait négligé d'expliciter à ses deux accompagnateurs. Simple compartimentation des informations.
Sans même y avoir été invité, Harvey Roover entra chez Liv, d'une démarche pleine de féminité qui sollicitait un peu trop ses hanches masculines. Par précaution, Mystique conserva l'apparence du convoyeur en uniforme beige et pantalon noir. Un écusson de conducteur de véhicule sécurisé trônait sur son torse un peu flasque, mal entretenu, et accroché à la va-vite, juste au-dessus d'une tâche de confiture laissée par un doughnut entamé avec trop d'appétit. Son talkie-walkie se balançait au gré des ondulations du bassin de son propriétaire, lequel laissait pendre ses bras épais de part et d'autre de son tronc, comme d'inutiles filaments. Quand elle n'y était pas contrainte, Mystique ne s'embarrassait pas de coller à son personnage. Si jamais une connaissance de Roover l’apercevait, au moins ne reconnaîtrait-elle pas une mutante à la peau bleue, et juste un Harvey à la démarche pantelante (sans doute due à de l'alcool).
Lascivement, la change-forme glissa l'une de ses grosses mains velues de convoyeur dans une des poches de son pantalon (à peine assez large pour contenir le bas de son corps), en sortant une clef USB.
" Voilà notre cible, pour ce soir. "Lâcha froidement la mutante, de sa voix naturelle.
Une manière polie et indirecte de demander à ce qu'on lui apporte un ordinateur, pour pouvoir afficher sur un écran de taille raisonnable la copie digitale des plans du « complexe industriel ». Le temps que ses deux acolytes se rassemblent autour de l'écran, la métamorphe enchaîna sur les détails pratiques, sa voix d'alto s'accordant cependant assez mal avec le physique d'Harvey Roover.
" À environ une demie-heure de New york, dans la banlieue de Newark, se trouve un édifice sur deux étages, sur Raymond Boulevard. Alentour, uniquement des docks longeant l'axe fluvial de la Passaic river. Officiellement, ce bâtiment appartient à une firme agro-alimentaire Canadienne, qui y stocke des livraisons en partance pour l'Europe. Dans les faits, la firme n'existe pas, mais on livre pourtant le complexe trois fois par semaines en matériaux biologiques, composés micro-électroniques de pointe et réactifs instables. Des gens y travaillent, sans qu'on puisse trouver nulle-part quelles sont leurs postes ou qualifications. Et des vigiles surveillent la structure, de jour comme de nuit.
De ce que j'ai pour l'instant découvert, il s'agit d'un centre de recherche sur l'identification des mutants, sans doute financé par un groupe extrémiste. L'objectif principal, c'est de le rendre inopérant, puisqu'on y développe en ce moment-même des scanners capables d'isoler les mutants dans une foule. Je tâcherai également de trouver de quoi remonter jusqu'à la source des financements de ce centre dans le réseau informatique interne du bâtiment."
" Occupez-vous juste de mémoriser la découpe des salles. Et de la répartition des accès.
Côté Nord et Sud du bâtiment, se trouvent des escaliers faisant communiquer le rez-de-chaussée avec le premier étage puis le toit, qui abrite le groupe électrogène principal du complexe. Raven, ce sera ton point d'entrée."Glissa la lieutenant de Magnéto en coulant un regard vers la Suédoise, pour s'assurer qu'elle l'écoutait." Belphégor et moi passerons par le bas. Chacun neutralise les gardes qu'il rencontre à mesure qu'il progresse vers le premier étage, où nous nous retrouverons. En tant qu'Harvey Roover, je suis autorisée à entrer sur le site pour y effectuer des livraisons. Vous resterez à l'arrière de mon véhicule jusqu'à ce que je vienne vous ouvrir, et à partir de cet instant, l'opération débutera. Communication par radio obligatoire, pour maintenir le contact.
Un groupe électrogène de secours assure au serveur interne de la structure de continuer à fonctionner, même en cas de coupure électrique. S'il doit prendre le relais, une alarme alerte le commissariat le plus proche, situé à l'angle de Market et Read Street. À partir de ce moment, nous ne disposerons que de deux minutes avant l'arrivée de la police. "
En croisant les bras sur sa poitrine, Harvey Roover conclut, sa barbe rousse lui formant un collier continu le long de son visage lunaire :
" La sécurité se répartit entre l'intérieur et l'extérieur du complexe, des rondes assurant un roulement. Il y a en permanence deux personnes dehors, et dix à l'intérieur. Il va falloir les neutraliser tous, sans qu'aucun puisse donner l'alerte. Ensuite, je me chargerai de hacker le serveur pour y récupérer un maximum de données ; idéalement, de quoi relier le site de production à un groupe anti-mutants, voire à un ou plusieurs membres de ce dernier. Si, pour une raison ou une autre, nous sommes repérés, la priorité sera de détruite le groupe électrogène du toit. Cela me laissera moins de temps pour infiltrer le réseau informatique, mais l'alimentation de secours ne permettra alors plus de maintenir actifs des verrous bio-métriques ou des systèmes de blocage, ce qui me facilitera la tâche. Je n'aurais qu'à me focaliser sur les protections numériques. Dans tous les cas, il faudra être regroupés et repartis dans le camion avant l'arrivée de la police. Vous n'êtes ni Dents-de-Sabre, ni Pyro. Les batailles rangées, ce n'est pas encore pour vous. Alors inutile de provoquer un affrontement direct contre les forces de l'ordre. Les vigiles sont armés de taser et d'un pistolet de petit calibre, déjà amplement suffisant pour vous tuer. Frappez en premier, et assurez-vous qu'ils ne se relèveront pas de sitôt. Qu'ils ne se relèvent plus, même.
S'il vous reste des questions, c'est maintenant qu'il faut les poser. "
iv examina dans la glace cette figure familière et plaisante, sans doute plus plaisante que celle qu’elle affichait au quotidien… Dans le miroir, c’était Raven, qui la fixait de cet air imperturbable qui était plus ou moins son air quotidien quand elle ne faisait pas l’effort d’afficher quelque expression faciale supposée donner l’impression qu’elle était capable de ces émotions humaines qu’elle ne connaissait jamais qu’en théorie. Les cheveux lisses et disciplinés retombant sagement sur ses épaules, la tenue la plus classique que l’on puisse concevoir, quoique suffisamment souple pour laisser à la criminologue toute liberté de mouvement, suffisamment de tissus pour dissimuler ses quelques tatouages, pas de maquillage, si ce n’est celui qui devait dissimuler un rien les quelques traces qu’auraient pu laisser les piercings dont elle s’était déchargée. Des allures d’ingénues, de jeune fille sage. Avec juste un regard de glace. Aujourd’hui, elle n’avait guère besoin de prétendre être Liv. Elle pouvait être elle, et c’était parfait ainsi. Mystique devait les rejoindre, elle et Belphégor, dans très peu de temps. Et si Raven pouvait en éprouver vraiment, elle supposait que ce qui l’animait à l’instant devait se rapprocher de l’impatience, et d’un rien d’excitation. Rejoindre la confrérie était sûrement le choix le plus raisonné et le plus judicieux qu’elle ait fait selon elle. La meilleure manière de rationaliser la part la plus obscure d’elle-même, tout en agissant au nom d’une cause qui lui apparaissait plus que légitime. Avoir l’occasion de partir en mission sous la commande du bras droit de Magnéto était à la fois un insigne honneur et une opportunité qu’elle observait tout à fait en tant que tels.
Quand on se manifesta à leur porte, Liv devina qu’il s’agissait d’elle, et si elle se présenta sous des traits étrangers, la criminologue ne pouvait pas avoir de doutes quant à la personne qui se trouvait en face d’elle, et s’il y avait pu avoir l’ombre d’une ambiguité, la façon dont Mystique rentra immédiatement dans le vif du sujet aurait tôt fait de dissiper le moindre doute. Pas la moindre de ces formules de politesse qui certes, structuraient les relations humaines et permettaient à Liv de donner l’impression d’être de ces gens, mais qu’elle avait toujours trouvés hypocrites et superflus. Elle préférait, et de loin, en venir aux faits, ce fut le cas. Liv apporta son ordinateur portable qu’elle plaça bien en vu afin qu’aucun des trois mutants ne puisse manquer la moindre information, toujours sans dire un seul mot. Inutile, Mystique gérait les opération, inutile de s’embarrasser d’interventions verbales superflues. Le bras droit de Magnéto leur apprit donc son plan en détails. Liv, toujours sans songer à interrompre la mutante aux traits masculins un seul instant, écouta très attentivement les détails d’un projet parfaitement huilé, et dont la criminologue ne discernait pas la moindre faille. Liv se contenta d’approuver d’un signe de tête quand Mystique tourna vers elle son regard afin de s’assurer qu’elle avait pleinement conscience du rôle qu’il lui faudrait jouer. Respecter un plan à la lettre et ne pas s’aventurer dans quelque improvisation hasardeuse, elle savait tout à fait faire, elle n’aimait rien de plus que ce qui était structuré, cohérent, propre. Rien de plus agréable donc pour elle que de procéder sous les ordres de Mystique. Quand elle eut fini son speech, son regard s’attarda un moment sur son colocataire, l’exposé de ce qu’il leur restait à faire avait été extrêmement complet, difficile de s’opposer à quoi que ce soit, ou même d’avoir à réclamer un quelconque complément d’information. Liv demeura donc muette. Si questions il devait y avoir, elles ne viendraient pas d’elle.
Cela faisait un petit moment que Liv & moi étions colocataires. Dans un paisible silence où nous n’étions pas obligés de parler pour communiquer, où nous savions parfaitement préserver cette intimité mutuelle et vivre ensemble sans être gêné par la présence de l’autre. Je m’assurais jour après jour de respecter ces règles de vie en communauté un peu plus strictes que celles que j’avais apprise au ‘’cirque des monstres’’ dans lequel j’avais passé une partie de ma vie, celle qui m’avait inculqué des règles de vie saines et loyales.
Assis dans un vieux sofa, le plus confortable du monde, un Stif derrière l’oreille et un autre en main dont le capuchon occupait ma mâchoire, un bloc de feuilles blanches était en train de mourir entre mes mains, entièrement tatouées de dessins que mon imagination leur imposait de ma main droite et parfois, ma main gauche prenait le relais, histoire de ne pas faire de jaloux ! Être ambidextre, un petit avantage secret qu’un dessinateur aime entretenir. Ceci dit, ce n’est pas non plus un don extraordinaire… !
Quelqu’un manifesta sa présence à la porte l’appartement de Liv, mon attention était retenue, mon trait resta en suspend pendant un instant. Liv ouvrit la porte et Mystique entra dans la peau d’un homme douteux. Sa démarche était la sienne, sexy et remarquable ! Je lâchai mon bloc de feuille et rebouchai mon Stif le tapant sur ces papiers torturés et colorés. Quittant ma position de tailleur, spontanément en vue de sa présence, elle présenta une clef USB affirmant que c’était notre mission de ce soir. Branchant cette dernière dans l’ordinateur de ma compagne, nous étions tous les trois bien attentifs et parfaitement face à l’écran.
Mystique nous expliqua le but de notre mission de ce soir. Elle exposa le lieu, le but caché de cette boite et notre rôle. Pour moi, des mecs qui essayent de repérer les mutants dans la foule en secret, ne peuvent qu’avoir de mauvaises intentions… Du coup, je jugeai cette mission utile et je m’allégeai alors la conscience en m’autorisant à tuer des humains. Le don de donner la mort n’est pas un don facile à vivre… Il m’a fallu pas mal de temps avant d’accepter et d’apprendre les règles… Une phrase que je retins de notre mentor était : « L’objectif principal, c’est de le rendre inopérant. »… Cela voulait bien dire que ce ça voulait dire… Si jamais son plan devait se voir changé, c’était ça qu’il fallait atteindre. Quoi qu’il arrive… Néanmoins, vu l’explication clair et concise du plan de Mystique, il m’avait l’air plutôt complet et même les risques et les points faibles avaient été assurés. Pour une première mission dans la confrérie, c’était une bonne mise en bouche ! Surtout que cette entrée n’était pas un choix personnel mais c’était plutôt un ‘ordre’… En effet, Magneto à lancé un appel au protecteur des mutants dans les pays de l’est de l’Europe. Du coup, il m’avait choisit pour intégrer ce groupe. Mais j’avais l’intention de repartir chez moi, une fois que j’aurais aidé Magneto… l’Amérique n’est pas un pays pour moi… C’est d’ailleurs pour cette raison que je me réserve le choix de tuer un humain ou non, quelque soit le donneur d’ordre.
Je mémorisai alors les plans à l’écran. Ce n’était pas bien difficile, l’architecture était assez simple… Je retins surtout les accès et les sorties de secours. Ainsi que les endroits où nous devrons passer. Le plan était simple. Je compris directement ce à quoi Mystique fit allusion quand elle dit : « Frappez en premier, et assurez-vous qu'ils ne se relèveront pas de sitôt. Qu'ils ne se relèvent plus, même. »… Là, mon regard se dirigea automatique vers Liv. Je savais que Mystique perlait certainement de ma nécromancie.
Une fois qu’elle eut fini son exposé, Raven me regardai pendant un instant et elle garda le silence. Je détournai le regard en même temps qu’elle, nous nous étions compris en une seconde. Notre silence était significatif. Je n’ai pas pour habitude de parler pour ne rien dire… Même si j’avais eus du mal à comprendre la nécessité de couper le courant lors d’une simple mission d’infiltration, pour le moment, il fallait juste que je m’en tienne à faire ce qu’on me demande… Je me redressai et mis mon capuchon sur la ma tête. J’étais prêt à suivre le mouvement.