S'affranchir de son passé ? Mais à quel prix ?

Dannah Everdeen & Steve Rogers

Il y avait des jours comme aujourd’hui, où je me prenais à regretter le temps passé et à implorer le ciel de parvenir à rompre le contrat que j’avais signé. Mais il n’y avait pas de contrat, pas de permissions, pas de mauvaise gravité ou d’aperçu furtif. Non, il n’y avait que la réalité. Une réalité qui me donnait la forte impression d’avoir été projeté dans une autre dimension. D’être le pantin d’un de ces manipulateurs qui aurait joué avec mon esprit pour me faire croire à des choses qui me peuvent exister. A me projeter dans une dimension inconnue et parallèle, où tous mes souvenirs auraient été conservés, et se joueraient de moi de ne parvenir à leur trouver une place. A se rire de me voir me débattre, tel un lion en cage, plus en capacité de distinguer le faux du vrai. Parce que j’en étais à un tel stade. À moins que je ne dorme encore, prisonnier de la glace … Non, je n’avais pas rêvé ce temps-là. Devais-je m’en convaincre fermement, alors que le monde peut faire aujourd’hui tant de choses, pour lui comme contre lui. Choses qui me dépassent et dont je n’ai pas le contrôle.

Mes retrouvailles avec Bucky m’avaient secoué. Alors que je le pensais mort, voilà qu’il refaisait lui aussi surface, me confortant dans l’idée que tout ça n’est qu’une énorme farce. Et je le connaissais trop bien pour me laisser emporter par un tel déséquilibre. Il n’était plus le même et on l’avait conduit à défaire tout ce en quoi il croyait et ce pour quoi il se battait. Et au final, la réalité n’importait peu, qu’elle soit tangible ou fictive, je me battrais jusqu’au bout pour qu’il redevienne celui qu’il est. Si je ne dois avoir qu’une seule mission, je la porterais jusqu’à la fin. Apprendre qu’il est toujours en vie et que personne n’a jugé bon de m’informer, prétextant ne détenir que des informations obsolètes sur le soldat de l’hiver, n’a fait que me renfrogner à l’idée que je n’aurais jamais ma place ici. Je savais ma colère partagée entre responsabilité et décharge, mais mettre les pieds au Shield m’était difficile pour le moment. Il me fallait le temps de digérer ce que j’avais appris, et de rassembler moi-même le peu d’informations que je trouverais à son sujet. Pour le retrouver. Et chaque jour qui passe est un jour de plus offert à l’ennemi. L’hydra m’aurait tout pris mais Bucky … Non Steve … L’Hydra est morte avec Crâne Rouge. Le cube cosmique l’a désintégré il y a plus de soixante-dix ans … l’Amérique a toujours eu des menaces de toute part et ne t’a pas plus attendu pour gagner la guerre … Et il y a aura toujours des guerres et des tas d’ennemis prêts à convoiter le sérum du super-soldat et à faire de l’homme un sujet expérimental de premier ordre. Mon réveil est brutal et agité. Il me faut cesser de vivre dans le passé. Mais comment m’affranchir de mes souvenirs lorsqu’ils refont surface aussi violemment ?

Après une nuit cerné par les cauchemars, alimentés de souvenirs ternis par les années, je pris la direction de la salle pour aller frapper quelques sacs dans l’espoir de faire retomber la nervosité qui refusait de me lâcher. Il était toujours très tôt, mais le patron avait l’habitude de m’y voir, et ne posait jamais de question alors que n’ignorant pas qui je suis. Je le dédommageais toujours du matériel que je pouvais abîmer, choisissant de venir m’entraîner en dehors des heures d’affluence. Ce rituel me donnait presque l’impression d’un peu de normalité. Il pouvait aussi nous arriver de parler des heures durant après la fermeture et j’en arrivais à chérir cet endroit autant que mon chez moi si ce n’est plus. Je le salue brièvement d’un signe de la tête, sac sur l’épaule, qu’il me renvoie et descend aux vestiaires pour me changer. Passant dans la salle, je protège mes mains de simples bandes et commence à m’échauffer mais à chaque coup, c’est le visage impassible de Bucky qui me revient dont la cicatrice qu’il m’a laissé s’estompe déjà, mais pas les souvenirs. Pas les souvenirs … La froideur de son regard, ma torpeur face à son manque d’humanité, le glissement soudain lorsque je le reconnais … Le visage de crâne rouge … Et chaque coup me fait cogner plus fort. Inconstant présent.

Dannah Everdeen & Steve Rogers

J’avais tant de choses à assimiler et autant à comprendre et pourtant, il demeurait encore des questions sans réponse, des phénomènes inexpliqués, des choses qui échappent totalement à notre contrôle et à notre esprit. Des choses que jamais nous ne maitriseront … Et ces curiosités de la vie qui me faisaient tant me poser des questions autrefois sont toujours là. Intactes et inatteignables. L’espèce humaine reste toujours un grand mystère, et nous possédons encore assez d’incertitudes pour nous éviter de nous présenter en conquérant et souverain de notre propre monde. J’en respecte les croyances, mais ne tolèrent pas leur excentricité. Parce qu’elles apportent une raison, une explication face à notre incertitude, de la force face aux épreuves que l’on traverse et un moyen de rester humble dans l’adversité, poussées à son extrême, elles peuvent rendre fous et déraisonnés. Dans le besoin de conserver toute ma neutralité, je ne pourrais me poser en juge. Je sais seulement que d’affreuses choses ont traversé l’histoire du monde à l’évocation de mauvaises raisons, de mauvaises personnes qui n’auraient jamais dû se produire. Et lutter pour que jamais elles ne se reproduisent, doit être la raison de mon existence. Le pourquoi je suis encore parmi les vivants alors que l’on m’a déclaré mort il y a près de soixante-dix ans.

Me pensant seul à cette heure, rester plongé dans mes pensées le temps de les expier, ne m’était que peu difficile. La hantise de ne pas faire le bon choix, d’être happé par mes sentiments et en oublier la raison, de toujours suivre cette ligne directrice qui a toujours su me conduire, et en même temps, ne pouvant mettre en balance ma condition d’homme qui me fait autant commettre d'erreurs que les autres. Un comportement irréprochable, mais des pensées semblables à tout un chacun. Certes, je sais tenir une posture sans faille, et démontrer une attitude sans bavure, mais qu’est-ce qui viendra me mettre à l’abri d’un cas de conscience ? Cette même voix qui me dicte le bien, qui me fait agir pour les autres plutôt que pour moi-même ? Et Bucky dans tout ça ? Ne mérite-t-il pas d’être sauvé comme tous les autres malgré ce qu’il a pu faire ? Dois-je me montrer impartial à son égard, alors que mes émotions faussent mon jugement ? Comment ne pas prendre parti ?

Un léger sursaut s’empare de moi alors que je prends conscience de sa présence, et la remarque à mes côtés, s’adressant à moi d’une voix claire et limpide. Je pose mon regard sur elle, la détaillant furtivement du regard, voyant pour la première fois sa personne alors qu’elle semble me connaitre déjà, certainement, de par les médias. Je remarque qu’elle est ici pour s’entraîner tout autant que moi mais se sent incommodée de trouver quelqu’un en ce lieu également. Je lui adresse un franc sourire avant de lui répondre, reprenant ma respiration.

« Ne vous en allez pas, nous devrions parvenir à y tenir sans nous gêner», lui dis-je, amical, la rattrapant alors qu’elle rebroussait chemin en direction des vestiaires. « Vous êtes … ? », lui demandais-je, ayant bien saisi à sa manière de me répondre par mon grade qu’elle puisse être certainement passée par une formation militaire elle aussi. Et si j’étais connu de beaucoup de monde, j’aimais la réciprocité dans les échanges, n’oubliant jamais un visage que je croise ni le nom de la personne en question. Et depuis que je fréquente cette salle, je ne l’y avais jamais vu. Certes, on ne choisit pas des lieux comme celui-ci pour se faire des amitiés, privilégiant la tranquillité et la solitude, mais quitte à devoir faire l’un avec l’autre, je souhaitais instaurer un climat serein, si l’on vient à se recroiser dans un futur proche. Je ne voulais pas lui laisser l’impression d’avoir pu déranger et la priver de son sas de décompression, juste parce que je m’y suis trouvé avant elle. Je ne voyais l’intérêt d’agir de cette manière, cela n’avait rien de juste. Mais peut-être qu’elle refuserait ma proposition, se préférant seule et auquel cas, je doute fermement de parvenir à la convaincre du contraire. Mais j’espérais vivement que l’on parvienne à une entente elle et moi en cet instant, ne voulant pas que le titre puisse jouer en ma défaveur. Une situation qui me porterait bien peine.