Maison des Lionheart, banlieue de Xandar – 1992 (7 ans)

« Maman se repose, alors on ne doit pas la déranger » je lance à mes peluches, assises en rond autour de la table de la cuisine, certaines prenant le thé, d’autres mangeant les gâteaux que j’ai préparés tout à l’heure. C’est la recette que maman m’a apprise, une spécialité Xandarienne et depuis que je sais la faire, je veux en manger tout le temps !
Je mâche un morceau de gâteau en sortant mes crayons, n’hésitant qu’une fraction de seconde entre un bleu clair et un bleu foncé pour la porte de la maison que je dessine, la maison que nous aurons un jour quand papa va revenir. Parce que maman m’a promis que papa allait revenir, qu’il est juste parti parce qu’il a un travail très important, mais qu’un jour il viendra nous chercher.
Les heures passent et je sais qu’en général les migraines de maman durent deux heures, mais là ça fait plus longtemps. Mes peluches ont fini leur thé et je commence à m’ennuyer, mais je n’ose pas déranger maman. Elle n’aime pas quand je la dérange alors qu’elle est pas bien, elle me crie dessus et je n’aime pas quand elle crie. Ça me rend triste.
Mais une autre heure passe et je commence à avoir faim. Maman doit avoir faim aussi, il commence à se faire tard. Elle s’est peut-être simplement endormie et ne sait pas quelle heure il est.
« Ne bougez pas, je vais aller réveiller maman » j’indique alors à mes peluches avant de jeter un dernier coup d’œil dans la cuisine. Montant les marches de l’escalier quatre à quatre, je m’arrête devant la chambre de maman et frappe à la porte.
« Maman, est-ce que je peux entrer ? »
Pas de réponse.
« Je suis désolée de te déranger, ne me crie pas dessus, mais il commence à être tard. Il faut faire à manger. »
Pas de réponse.
J’essaie d’ouvrir la porte, mais elle ne bouge pas, verrouillée de l’intérieur.
Quelques essais plus tard, je quitte la maison pour aller sonner chez les voisins, un couple de Sakarhiens à la peau aussi rouge qu’une tomate, leur expliquant la situation. Le père de famille me suit et après plusieurs coups de pieds, il parvient à ouvrir la porte de la chambre de ma mère.
Je n’aperçois que le bas de son corps sans vie accroché à une poutre du plafond avant que le voisin ne me cache les yeux.



Orphelinat de Xandar – 1993 (8 ans)

Je n’ai pas prononcé une seule parole depuis le suicide de ma mère. Parce que personne ne peut me comprendre. De toute façon, chacun des enfants ici a ses propres problèmes, sa propre raison pour laquelle il a fini à l’endroit où vont tous les enfants dont personne ne veut s’occuper. Maman a beau avoir promis, papa n’est jamais venu me chercher. Et au bout de six mois d’attente, j’ai tout simplement arrêté d’espérer.
Je ne connais pas l’homme qui s’assoit à côté de moi sur le banc dans ce parc. La directrice de l’orphelinat se fiche de savoir si l’on va rentrer la nuit ou si l’on va dormir dans la rue, tout ce qu’elle peut nous proposer c’est un toit et une gamelle chaude, dans la limite des places disponibles cela dit. Et en général je rentre à l’orphelinat parce que je ne suis pas la plus forte des enfants et que je ne vais pas survivre longtemps si je reste dans la rue. Mais cela ne m’empêche pas de jouer dans ce parc durant la journée.
Pourtant, ce monsieur je ne le connais pas. Il m’a l’air d’être aussi un Xandarien, il a la même peau beige que moi et une barbe brune épaisse. Sa paire de lunettes est rigolote, les verres sont tous ronds comme s’il était tout le temps étonné.
Il ne dit rien durant de longues minutes alors que je trace des dessins dans le sable à mes pieds à l’aide d’un bâton. Mais je sens qu’il m’observe.
« Comment t’appelles-tu ? » me demande-t-il, mais je ne dis rien. Il est comme les autres, il ne comprend pas.
Il continue à me demander mon prénom, mon âge et où j’habite, mais je ne dis toujours rien. Et puis maman n’est plus là, mais elle m’a toujours dis de ne pas parler aux étrangers.
Pourtant, le monsieur n’est pas méchant, il a juste l’air triste. C’est alors qu’il me montre une photo. Une photo de lui plus jeune et d’une femme qui n’est autre que ma maman du temps où elle souriait encore.
« Je suis ton père » me dit-il alors.



À bord du Santana en direction de Terra – 1993 (8 ans)

Durant tout le voyage, je lui raconte tout. Ma vie avec maman, sa mort, l’année à l’orphelinat et durant tout ce temps, il pleure en silence. Il me sourit, mais il pleure en même temps et je ne veux pas qu’il pleure mon papa. Tout va bien, il est venu me chercher, il a tenu sa promesse, maman avait raison.
Les messieurs qui pilotent le vaisseau sont étranges, mais ils n’ont pas l’air méchants et papa reste toujours avec moi. Il m’explique que là où nous allons c’est pas Xandar, c’est une autre planète qui s’appelle Terra, peuplée d’Humains et que c’est de là qu’il vient. Il m’explique que je ne suis qu’à moitié Xandarienne et je n’arrive pas à comprendre au début puisque papa et moi nous ressemblons beaucoup. Nous avons la même couleur de peau alors nous devons être de la même race non ? Il me dit que ce ne sera pas facile, mais que tout va bien se passer maintenant et je le crois.



Maison des Starfall, banlieue de New York, Terra – 1993 (8 ans)

« Mais tu ne comprends pas Théodore ! Comment as-tu osé me faire une chose pareille ? »
« Qu’est-ce que tu veux que je te dise Miranda ? Ce n’est pas ma faute ! »
« Ce n’est pas ta faute que tu m’as trompée avec une putain d’extraterrestre ? Mais qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? »
« Je ne pouvais pas savoir qu’elle allait tomber enceinte… »
« Ne change pas le sujet ! Tu m’as trompée et tu penses que je vais tout te pardonner ? Que je vais accepter d’adopter une gamine qui n’est qu’à moitié humaine et qui est un rappel constant de ton aventure ? En plus, elle n’est pas entièrement humaine, elle pourrait blesser mon fils ! »
« Owen est aussi mon fils, je te le rappelle. »
« Comme si tu t’occupais de lui ! Tu n’es jamais là ! »
« J’ai un travail très important, Miranda. »
« Travail, toujours ce foutu travail ! Et bien sûr, tu étais en train de travailler quand tu t’es tapé l’autre salope ! »
« Miranda ! »
« Théodore ! »
Je passe le plus vite possible sous la fenêtre donnant sur le salon en me bouchant les oreilles, essayant de ne pas entendre la dispute. Je me réfugie sous le grand arbre dans le jardin, me cachant derrière le tronc et essayant de me faire la plus petite possible, réfléchissant à si je pourrais m’enfuir. On ne veut pas de moi ici, je n’aurai pas de nouvelle maman et je ne veux pas déranger.
C’est alors qu’une corde tombe à ma gauche et que j’entends une voix au-dessus de ma tête :
« Hé ! J’ai besoin d’un lieutenant pour piloter mon navire, tu veux bien me filer un coup de main ? »
Le garçon se trouvant dans la cabane dans l’arbre me sourit et il a l’air gentil. C’est pourquoi j’attrape la corde et le rejoint dans l’arbre.
Je n’aurai jamais cru pouvoir me sentir chez moi sur cette planète, mais Owen m’a prouvé le contraire. Durant les douze années suivantes, il fut mon rempart, mon bouclier, mon ancre. Il n’a jamais su que je n’étais qu’à moitié humaine, il m’a adoptée dès le premier jour, devenant le grand frère dont j’avais besoin. Nous avons passé des années joyeuses et pleines d’aventures, malgré nos cinq ans de différence. Il était toujours là pour me soutenir, m’aider et être mon refuge. Toujours à donner sans jamais rien demander en retour.



Jardin de la salle des fêtes Berlington, New York, Terra – 2005 (20 ans)

« Superbe cérémonie » je lance à Owen, le faisant sursauter. Mon sourire devient espiègle lorsque je me rend compte qu’il est complètement surpris de me voir là. « Qu’est-ce que tu caches ? De la drogue ? »
Il rit en retour et me montre ses mains vides. « Non, j’étais juste perdu dans mes pensées. »
« T’as des regrets ? » je m’accoude à ses côtés, observant le jardin et les invités dansant sur la piste installée à l’air libre alors que des lucioles volettent autour des lampions.
« Non. »
« Tant mieux, parce qu’il est trop tard, t’es déjà marié je te rappelle. »
Il rit.
« Et je l’aime bien Stéphanie. Prends soin d’elle. »
« C’est le but. »
Un silence léger s’installe avant que je ne reprenne la parole.
« T’as quand même réussi l’exploit de faire de cet endroit un conte de fées. T’as même les lucioles et tout. Je suis impressionnée. »
« Et moi je suis impressionné que tu as finalement mis une robe. » Ce commentaire lui faut un coup de poing dans l’épaule.
« Quand même, c’est pas tous les jours que mon frangin se marie. »
« Tu repars quand ? » me demande-t-il alors lorsqu’une nouvelle chanson se fait entendre et que Stéphanie nous fait signe de la rejoindre, on lui indique qu’on arrive dans quelques minutes.
« Dans trois jours, avec les cours c’est tranquille en ce moment, mais le Conservatoire organise des répétitions pour la compet’ du mois prochain et je ne voudrais pas rater ça. »
« Tu vas gérer, tu danses super bien de base, mais t’es une véritable bête quand il s’agit de compétition. »
Je souris.



Maison des Starfall, New York, Terra – 2005 (20 ans)

Je serre une dernière fois Owen et Stéphanie dans mes bras avant de balancer mon sac sur mon épaule.
« Tu n’as rien oublié ? » me demande Owen.
« Non maman, j’ai tout pris. » Il lève les yeux au ciel.
« Tu es la bienvenue quand tu le souhaite, Ary » me dit alors Stéphanie. « N’hésite pas à passer nous voir. »
« Pas de soucis, en juillet je devrais avoir un peu de temps. Je vous appelle. »
Mais avant de disparaître dans le taxi qui va m’emmener à la gare, je lance sans me retourner « Et le premier gamin que vous aurez, je veux être la marraine ! »
Pourtant, ma joie s’éteint très vite lorsqu’après une minute dans le taxi on m’assomme.



À bord du White Tulip, dans l’espace – 2005 (20 ans)

L’eau glacée que l’on me balance dessus me réveille violemment, me forçant à tousser. Je remarque immédiatement que mes poignets sont attachés ensemble et que deux gaillards costauds me maintiennent debout.
« La Belle au Bois Dormant se réveille, ça y est » dis l’homme en face de moi. Je devine immédiatement qu’il est le chef.
« Je vais aller droit au but, parce que j’ai pas que ça à foutre. Ton père nous doit du fric, une sacrée somme d’ailleurs, sans oublier les intérêts. »
« Vous avez raté votre chance alors, il est mort » je réplique. Je sais que je n’ai aucune chance, je suis une danseuse pas une combattante.
« Je sais. C’est pourquoi c’est toi qui va rembourser sa dette. »
Et c’est ainsi que je suis devenue une pirate à bord du White Tulip, travaillant pour le Capitaine Steel. Le capitaine a immédiatement ordonné qu’on m’entraîne, parce qu’aucun de ses hommes ne doit être un boulet. Grâce à mes connaissances en danse, j’ai rapidement appris à me battre, à tirer, à piloter et même à bricoler. Il m’a fallut cinq ans pour rembourser ma dette et Steel m’a laissé un choix ce jour-là : retourner sur Terra auprès de ma famille qui n’a aucune idée de ce qui m’est arrivé les cinq dernières années ou bien devenir son lieutenant. Je suis restée. Et lorsque l’heure de Steel est venue, j’ai pris sa place de Capitaine, que ce soit pour l’équipage ou bien les autres clans Ravageurs, voyageant d’une planète à une autre durant cinq autres années. Pourtant, je m’en voulais de ne pas avoir pu prévenir Owen. Cela fait dix ans qu’il ne sait pas ce qui m’est arrivé et ce n’est qu’en 2015 que j’ai décidé d’aller faire un tour sur Terra, laissant le vaisseau et l’équipage aux soins de mon lieutenant Jonah, afin de revoir Owen. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, surtout lorsque j’ai découvert qu’il y a une pierre tombale à mon nom dans le cimetière de New York.

« Ary c’était quelqu’un de bien qui a eu une vie de merde. Je n’imagine même pas ce qu’elle a du ressentir quand elle a perdu sa mère. Pour moi, elle a toujours été quelqu’un de fort, bien plus qu’une survivante. Il lui en a fallu du temps pour se remettre de ses blessures et certaines sont tellement profondes que je me demande si elles se sont refermées un jour. Elle était le genre de personne à se sacrifier pour les siens. Très casse-cou, je me souviens de toutes les fois où elle est rentrée à la maison avec des fringues trouées ou des plaies. Ce que ça énervait ma mère ! Elle était bornée aussi, impossible de la faire changer d’avis une fois qu’elle avait décidé de faire quelque chose. Elle possédait cette façade dure, un masque qu’elle portait en permanence et je suis chanceux de pouvoir dire que je fais partie des rares personnes à avoir vu sous le masque, à avoir pu voir sa sensibilité, ses peurs, mais aussi ses doutes. Elle était persuadée qu’elle ne méritait pas certaines choses, qu’elle ne pouvait pas se pardonner certaines choses, qu’elle était responsable de certaines choses. Malgré la confiance dont elle faisait preuve et la motivation et le courage qu’elle inspirait aux autres, elle flippait tout autant que chacun de nous dans des situations difficiles. Pourtant, elle n’a jamais laissé ces peurs prendre le dessus, elle a muselé tous ses sentiments pour faire ce qui devait être fait. Elle était très douée dans ce qu’elle faisait d’ailleurs et je suis certain qu’elle aurait accompli de grandes choses si elle était encore parmi nous. Je lui avais promis de ne pas m’éterniser sur un discours si ce jour devait arriver, et bien je suis désolé de te le dire, Ary, mais il est hors de question que je te laisse partir sans te dire ces derniers mots. Je ne sais pas ce qui t’es arrivé et après toutes ces années, je dois admettre que tu n’es plus de ce monde, même si je ne pense pas pouvoir l’accepter vraiment au fond de mon cœur. Tu as été ma perle, la petite sœur que j’avais toujours rêvée d’avoir et je suis fier d’avoir pu partager ta vie. Tu nous as quitté beaucoup trop tôt et je ferais en sorte de préserver ta mémoire. J’aurai tellement aimé te serrer une dernière fois dans mes bras, te dire à quel point ce fut un honneur que de te connaître et que je t’aimerais toujours. J’espère que là où tu te trouves tu as enfin réussi à te pardonner et que tu as enfin trouvé la paix. »

Discours d’Owen Starfall à l’enterrement de sa demi-sœur Arena Lionheart, le 3 décembre 2012 à New York