Summers a décidément envie que je lui clamse sur les bras. Je ne me suis jamais plains de mon travail précédemment et Summers n’a pas eu besoin d’entendre que certaines choses ne passent pas avec moi, il me connait suffisamment bien pour ça. C’est comme cet arrangement silencieux entre nous, je fais le boulot, même s’il est chiant et de son côté il essaie de ne pas me faire chier trop souvent, me filant les cas les plus intéressants, adaptant mes missions à mon profil (je ne suis pas du tout le genre à passer des heures derrière un bureau à remplir des rapports), limitant ma paperasse au minimum social. Nous nous accommodons en sommes, car je sais bien que ma philosophie ne me permettra pas de garder un travail si je la laisse complètement s’exprimer. Surtout un travail aussi kiffant qu’agent du FBI. Mais nous avons eu beaucoup de cas récemment, beaucoup de cas qui m’ont été refilés, à moi et Thomas-noobie, qui n’est plus noobie depuis toutes ces années, mais passons. Il en donne toujours l’impression avec ses airs d’intello tout droit sorti de l’école.

Tout ça pour dire que je suis plus fatiguée, frustrée et chiante que d’habitude. Même certains confréristes m’évitent en ce moment, déjà qu’ils ne viennent pas souvent me faire chier, mais maintenant… Et au final, c’est pas plus mal, je n’ai pas envie de les voir. Le seul point positif, outre le fait que je suis placée dans les bonnes grâces de Summers et ses supérieurs maintenant plus haut que jamais, ce qui est tout bénéfique pour mon statut, c’est que mon boss a au moins eu la décence de me donner une journée de libre après cette semaine de folie. À croire que les criminels n’avaient que ça à foutre cette semaine que de tous décider de faire sauter des choses et des gens… À moins que ce ne soient les terroristes soviétiques. Entre les théories du complot de Thomas et les suppositions de Summers, j’en entends des conneries au Bureau.

Et quoi de mieux qu’une soirée de libre que d’aller aux putes ? Non, sérieusement, je fréquente les clubs de striptease depuis un moment, cela me permet de vivre ma bisexualité à fond. Mais avant de profiter des plaisirs charmants que la nuit a à offrir, je passe boire un coup dans un bar. Oui, à dix-sept heures. Il n’y a jamais d’heure pour boire de toute façon. Badge dans la poche et pistolet à la ceinture, je déambule donc dans les rues de Manhattan à la recherche d’un bon bar. J’improvise ce soir, pas de plan de prévu, juste du fun et du bon temps. Sauf si la vie décide encore de me dire merde et, franchement, vu la semaine que je viens d’avoir, je ne serais pas étonnée que ce ne soit pas encore terminé.

Bon, je me plains que les criminels aient décidé de faire sauter beaucoup de choses et de gens cette semaine… mais c’est rien comparé au bordel qu’est le Bureau avec l’assassinat du Président. Parce que forcément, ça nous retombe un peu sur la gueule, le FBI étant quand même censé protéger la nation des menaces internes. Oops…

Mais le pire, c’est que depuis cette semaine de pagaille complète, encore pire que s’il y avait le feu au bordel, j’ai de moins en moins d’énergie à donner et j’ai l’impression que dormir ne me permets pas de récupérer intégralement mon énergie. Comme un putain de trou noir. Après, vu la semaine plus que trépidante que je viens d’avoir, ce ne serait pas étonnant si j’étais fatiguée juste à cause de ça. Du surmenage en sommes. Ça et les quelques taches que je me suis choppée sur le ventre comme une sorte de foutue fièvre, mais passons. C’est encore suffisamment translucide pour que ça passe, mais si ça ne disparait pas dans quelques jours, j’irai me renseigner. Et puis aujourd’hui ça passe encore, en éteignant la lumière si je finis par rentrer avec quelqu’un ça passe crème.

Et pendant que je réfléchis à toute cette merde qu’est l’assassinat du président, j’entends quelqu’un me saluer et, encore plus étonnant, m’appeler par mon prénom. La plupart des personnes que je connais m’appellent simplement Levi, Leviana c’est pour vraiment me faire chier ou pour les affaires officielles et même au Bureau, ils se contentent en général d’agent King. Point. Je me retourne et aperçois un jeune homme. C’est l’unique personne dans la rue qui ne bouge plus et même les autres passants peuvent être comptés sur les doigts d’une seule main, je suis donc certaine que c’est lui. Et pourtant, je ne le reconnais pas. En sachant que Leviana est un prénom tellement rare qu’il ne figure même pas dans les dictionnaires et ne possède pas sa propre fête, sachant que c’est littéralement ma mère qui l’a inventé rien que pour moi, décidant avant même ma naissance de me pourrir la vie, je décide de jouer la carte du « j’ai pas entendu. »

« Excusez-moi ? » Feignant l’indifférence, j’essaie vraiment de me souvenir de qui il peut être, mais absolument rien ne me vient à l’esprit. Ce n’est certainement pas l’un de mes ex, il n’est pas mon type et je ne révèle jamais mon véritable prénom à mes coups d’un soir. Ce n’est pas non plus quelqu’un du Bureau, même un courtier, car je n’oublie pas un visage et quelqu’un que j’aurai croisé en coup de vent n’aurait pas non plus obtenu mon prénom. Et il est certainement trop jeune pour être mon père, si un jour ce connard décide de sortir de son trou et de se souvenir qu’il y a une trentaine d’année il a aidé à concevoir un être humain. S’il n’est pas mort, cela dit et je me ferais un plaisir d’y remédier. Et je n’ai pas non plus mon flingue et mon badge pour donner l’impression que je suis une figure d’autorité. « On se connait ? » Bonne question et je suis certaine que cet homme possède la réponse.

Je n’ai jamais été très patiente lorsqu’on se prend ma tête. D’une part, je ne supporte pas ça et je le fais clairement savoir, d’autre part, j’ai des choses beaucoup plus importantes à faire que laisser des crétins me faire perdre mon temps en se payant ma tête. Et cet homme semble de plus en plus en faire partie, car je suis certaine de ne jamais l’avoir vu. Certes, il m’arrive de boire un peu trop par moments, de faire des soirées qui ne se terminent pas toujours bien (pour moi ou pour les autres). Mais jamais je n’ai eu des pertes de mémoire. C’est juste impossible. Et je suis sur le point de me retourner et de continuer mon chemin après avoir laissé quelques insultes derrière moi quand l’homme parle de nouveau.

C’est la description qu’il me fait de ce à quoi il ressemblait avant qui me fait tiquer et en quelques secondes, je passe de frustrée à abasourdie. Des centaines de questions se bousculent dans ma tête en apprenant l’identité de cet homme, des questions qui me font froncer les sourcils et qui manquent de me faire rire. Car ce serait une très bonne blague. Xavier ne peut pas avoir soudain l’air comme s’il avait découvert le meilleur des liftings. Les gens ne rajeunissent pas et aucun mutant que je connais ne possède ce genre de pouvoir. Ce n’est juste pas possible.

« Tu te fous de ma gueule ? » Mais malgré la violence escomptée derrière ces mots, mon visage lui est surpris et une once de choc se fraie même un chemin le temps d’un instant. Car je le vois bien dans ses yeux que c’est lui. Le même regard chercheur, observateur, toujours à faire des analyses alors que l’homme garde le silence. Il observe comme un faucon. Et si je me concentre suffisamment, je peux même sentir ses pouvoirs à l’œuvre, lui qui lit mes pensées.

Serrant la mâchoire, je m’efforce de lui interdire l’accès alors que tout surprise disparaît de mon visage, mon regard se fait sérieux et dur, mes lèvres ne formant qu’une ligne stricte. Je croise les bras sur ma poitrine, tout en veillant à ce que mon pistolet soit à ma portée si j’en éprouve soudain le besoin. Pas que je crains Xavier, mais je préfère me tenir prête. Ou bien si je commence à me faire chier, ce serait aussi une excuse pour vouloir le buter.

« Ça faisait longtemps. Tu joues toujours au directeur de l’Institut ou ça t’es passé ? » Soyons clairs, je n’ai pas apprécie mon passage, certes bref, là-bas. Et malgré le temps qui est passé, ça me fait quand même chier de revoir Xavier. Pourtant, une part de moi est curieuse quant à la raison de sa présence ici et pourquoi il est venu me voir.

Il n’y a pas à tortiller du cul pour chier droit comme diraient certains de mes collègues : c’est bel et bien Xavier qui se trouve en face de moi. Il a l’air d’aller bien dans son nouveau corps et une fois l’étonnement passé, je ne peux m’empêcher de me demander comment toute cette histoire est possible. Bon, c’est vrai que nous vivons dans un monde sacrément bizarre parfois, les Mutants en sont la première preuve, mais je ne pensais pas qu’un jour j’allais voir un esprit changer de corps. Immédiatement, je me demande quelle a été la procédure et la raison pour cette expérience digne d’un savant fou. Il se pourrait même que Xavier vienne de trouver la clé de l’immortalité.

« Tu as du culot de venir me voir après toutes ces années » je lance, à moitié souriant, à moitié grognant, les mains dorénavant posées sur mes hanches. Je ne crains pas Xavier physiquement, même s’il se trouve dans un corps plus jeune, je peux compter sur mon expérience et mon entrainement pour lui mettre une raclée si les choses dérapent. Sans oublier mon arme de service que je ne veux pas utiliser inutilement, mais que je n’hésiterais pas à utiliser en cas de légitime défense. Mais psychiquement, c’est une autre histoire. Je ne suis pas vraiment fan des gens qui entrent dans ma tête et même si Xavier est en général bienveillant, du moins d’après mes souvenirs, il pourrait utiliser ses pouvoirs pour me nuire.

« Ça ne m’étonne pas, c’est du toi tout craché. T’as pas changé depuis tout ce temps. Enfin, sauf physiquement. Dis-moi, il était d’accord l’homme à qui tu as volé le corps ? Comment ça s’est passé ? Je devrais t’arrêter pour un crime ? Certes, ce n’est pas du ressort du FBI, mais je pourrais trouver une raison de t’embarquer. » Changement de sujet pour cacher ma gêne, la bonne vieille technique. Mais peu importe à quel point je vais saupoudrer toute cette situation d’humour ou de sarcasme, ça ne changera rien au fait qu’il m’a quand même posé une question et qu’il a répondu à la mienne.

Alors comme ça l’Institut tient toujours debout. C’est pas étonnant, même si je m’attendais à ce que ce taudis soit fermé depuis. « Toujours oui, badge et tout le tralala. » Et que je le veuille ou non, je ne peux littéralement pas lui en dire plus sans rompre une dizaine de lois nationales. C’est comme ça.

Je ne me retiens de rire qu’en pensant très fort au dernier cadavre mutilé que j’ai vu ce matin. « Tu sais, si j’avais voulu parler de ma vie dans les détails, je serais allée voir un psy. » Je croise les bras sur ma poitrine, intriguée par son intérêt soudain pour ma personne et notant dans un coin de ma tête de mettre une alerte personnelle sur Xavier dès mon retour à mon poste demain matin. Pas que je risque de le trouver dans nos bases de données, surtout avec son nouveau corps, mais juste pour moi, au cas où je tombe sur quelque chose de juteux.

Parce qu’il est hors de question que je parle de ma vie avec lui. « Ça ne te regarde absolument pas. J’ai rompu les liens en quittant l’Institut, qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Que je suis contente de te voir ? Que j’espère que tu vas bien ? Je ne pourrais pas m’en foutre davantage. Je vis ma vie là où elle me mène, point barre. »

Je sais bien que si je continue cette conversation, mes plans pour la soirée vont s’envoler et je risque même de m’embourber dans une situation que je vais regretter. Je serais limite même tentée de faire sauter une bouche d’égouts ou deux, mais mon hydrokinésie fait des siennes récemment. Mais ça, il est hors de question que j’en parle à Xavier. Mes problèmes ne me concernent que moi et moi uniquement. Et lui avouer ça serait un spectacle de vulnérabilité, ce que je ne peux me permettre, jamais.

Alors je le regarde longuement une dernière fois avant de tourner les talons, brassant l’air dans un grand geste d’adieu. « La nuit est jeune et j’ai autre chose à foutre. » Je n’ai jamais été douée pour les adieux, d’ailleurs je ne me souviens même pas si j’ai proprement dit au revoir à Xavier lorsque j’ai quitté l’Institut. Il me semble que je me suis simplement enfuie. Certes, comme une voleuse, mais bon, on ne change pas facilement.

Il n’a qu’à m’arrêter s’il le souhaite, mais je ne compte pas m’éterniser. Je n’aime pas la tournure que prend notre conversation, alors autant y mettre un terme. Surtout qu’il est hors de question que je lui donne des informations sur la Confrérie. Certes, je me considère comme n’y appartenant qu’à moitié, parce qu’il est hors de question que je m’attache, mais quand même. Je n’y gagnerais rien à trahir l’un pour l’autre. Et j’ai toujours été plus douée pour frapper d’abord et poser les questions ensuite. C’est comme ça, on s’y fait et tant que je ne mets pas en danger ma capacité de faire mon boulot correctement, je considère que tout va bien.

Comme je m’y attendais, Charles opte pour la provocation. Et je dois admettre que ça m’aurait vraiment fait chier il y a quelques années, que j’aurais certainement tourné les talons et l’aurais insulté copieusement jusqu’à ce qu’il me foute la paix, quitte à en venir aux mains, quitte à me retrouver dans la merde. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, j’ai gagné en patience, en je m’en foutisme et toute cette histoire me fait plus rire qu’autre chose en fait.

« Si tu crois que c’est ça qui va m’arrêter, tu te trompes, Charles. Et si, je peux fuir, je suis en train de le faire là tout de suite. » Je me retourne en prononçant ces mots et écartant les bras, essayant de le provoquer tout autant qu’il me provoque. Parce que même si je ne réagis pas, il commence à me taper sur le système à force d’insister alors que j’ai juste envie qu’il me foute la paix.

Sa dernière phrase me fait vraiment rire par contre et je ne peux m’empêcher de m’arrêter et de m’appuyer contre un réverbère sous les violentes secousses de ma poitrine. « Tu te fous de ma gueule là ? » Je ris encore, parce que toute cette soirée est juste la meilleure blague du siècle. « Si moi je suis une bonne personne alors toi et Magnéto vous êtes des saints ! Non mais sérieusement, tu crois que c’est si simple que ça ? Que tout est noir ou blanc ? »

Forcément il faut que je me retourne maintenant, il la voulait sa confrontation, il va l’avoir maintenant. « Tu crois que tu es le gentil de l’histoire, celui qui veut faire la paix avec le monde et permettre aux mutants de vivre avec les humains en harmonie ? Le monde n’est pas fait d’arcs-en-ciel et de paillettes, Charles ! Les mutants et les humains ne pourront jamais faire la paix ! » Je m’approche de lui et pointe un index accusateur vers sa poitrine, même si son nouveau corps est plus grand que moi, même s’il n’est plus le vieillard coincé dans un fauteuil roulant.

« Parce que tant que les humains continueront d’avoir leur mentalité de merde, ils continueront d’avoir peur de ce qui est différent et de chercher à le détruire ! On a plus de vingt siècles d’histoire qui le prouve ! Tu crois que tu peux guérir le monde en annonçant la bonne parole et en forçant humains et mutants à chanter Kumbaya autour d’un feu de joie en se tenant la main ? Et bien devine quoi ? Tu ne peux pas changer le monde ! Parce qu’il existera toujours des connards qui n’en n’ont rien à foutre des autres, même de leur propre famille ! »